Le syndicat CSN derrière la relance

L’action syndicale et la créativité des travailleuses et des travailleurs a permis de renverser la tendance au déclin à la traverse de Québec-Lévis, un gain pour toute la région.

Par Nicolas Lefebvre Legault, conseiller à l’information

Photo : Antoine Letarte

L’année 2015 s’est avérée catastrophique pour la Société des traversiers du Québec (STQ). L’effet combiné d’une série de hausses de tarifs et de la grève de trois semaines menée par les métallos à l’automne a fait fuir la clientèle et a provoqué une baisse d’achalandage de 30 %. Constatant l’hémorragie, le Syndicat des employés de la Société des traversiers Québec-Lévis (CSN), qui représente tous les employé-es du traversier à l’exception des capitaines, lieutenants, assistants et chefs mécaniciens, a mobilisé ses membres pour proposer des solutions permettant de renverser la vapeur et ramener la clientèle.


Choc tarifaire

Comme toutes les sociétés d’État, la STQ a un mandat d’autofinancement et doit répondre à des commandes politiques en cette ère d’austérité.

« La Société des traversiers du Québec n’avait pas comme priorité d’aller chercher une nouvelle clientèle. Pour augmenter les revenus, leur seule solution était d’augmenter les tarifs ce qui a fait fuir les gens au lieu d’en amener d’autres », raconte Éric Bégin, le président du syndicat. Au fil des ans, les hausses salées se sont succédé beaucoup plus rapidement que l’inflation. « À un moment donné, c’était quasiment gênant pour les caissiers de dire aux familles combien ça coûtait, se souvient France Paré, trésorière du syndicat, c’était rendu 28,40 $ pour l’aller-retour pour une famille de 4 piétons, un non-sens, les familles viraient de bord. »

Coup de tonnerre au printemps 2016, l’étude des données de la STQ montre une baisse d’achalandage marquée dans toutes les catégories et même un manque à gagner de 2 millions de dollars, et ce, malgré une hausse généralisée des tarifs (jusqu’à 25 % pour certaines catégories).


Le syndicat mobilise la créativité de ses membres

Inquiet, le syndicat CSN écrit à la direction le 1er mai 2016 pour connaître ses intentions face à la baisse d’achalandage.

« Ils n’étaient pas très proactifs, il a fallu les brasser un petit peu », explique Éric Bégin. Le syndicat décide de réunir ses membres pour échanger sur les problèmes et trouver des idées concrètes à proposer à la direction pour augmenter l’achalandage. Des membres réguliers participent à un souper syndical et élaborent ensemble une série de pistes de solutions. « On voulait que le combat et les solutions partent des membres, que ce ne soit pas juste le président », explique M. Bégin.

À ce moment, le syndicat trouve une oreille attentive auprès de la directrice locale, Mme Carole Campeau, qui décide de relayer les solutions des travailleuses et des travailleurs auprès de la haute-direction. « Les patrons ont organisé leur propre rencontre avec les membres, comme si le travail syndical ne comptait pas, mais à la fin ils nous ont écoutés, », raconte M. Bégin. C’est ainsi qu’une partie des idées du syndicat est finalement reprise par la Société des traversiers après une rencontre avec le vice-président exploitation.

« À la base, ce que veulent les usagers c’est un service rapide, qui ne coûte pas trop cher, on est dont parti de ça », explique la trésorière du syndicat qui considère qu’il vaut toujours mieux avoir plus de passagers qui paient moins cher que pas de passagers du tout. Les membres ont proposé une révision en profondeur de la grille tarifaire pour l’alléger et introduire des promotions ciblées pour attirer une nouvelle clientèle. Entre autres mesures, le syndicat a proposé d’étendre le tarif réduit jusqu’à 15 ans (au lieu de 11 ans comme c’était le cas depuis 40 ans), de baisser le prix unitaire pour les voitures, les camions et le covoiturage. Autre mesure très populaire, l’introduction de la gratuité pour les enfants en période estivale, la toute première promotion de l’histoire de la STQ. L’effet fut immédiat, après des années de baisse d’achalandage, le nombre de passagers et de véhicules recommence à augmenter. Les chiffres de 2017 ne sont pas encore disponibles, mais on note une augmentation de 17 % du nombre de passagers pour 2016 par rapport à 2014. Non seulement l’hémorragie est stoppée, mais on amène de nouveaux clients.

« C’est une bataille qui n’est jamais terminée », note Éric Bégin qui déplore que plusieurs idées de ses membres n’aient pas encore fait leur chemin auprès de la haute-direction de la STQ. « On est encore loin des objectifs qu’on avait identifiés, c’est très difficile de faire connaître le produit », pense le président du syndicat qui rêve d’une campagne de communication et de marketing digne de ce nom ainsi que d’une signalisation routière adéquate qui ferait connaître le service de traversiers aux automobilistes sur les autoroutes. « Pour l’instant, c’est comme si on ne voulait pas que le monde sache que le traversier existe, comme si l’on ne voulait pas de voitures dans le Vieux-Port », se désole le syndicaliste.

Le syndicat aimerait également que la direction de la STQ soit plus proactive lorsqu’il s’agit de développer des partenariats avec d’autres institutions pour augmenter l’achalandage dans les périodes creuses, que ce soit les commissions scolaires qui amènent des dizaines d’autobus remplis d’écoliers au Musée de la civilisation ou les hôteliers qui n’ont pas accès aux excursions sur le fleuve plusieurs mois par année. Malheureusement, ce ne sont pas les idées qui manquent. À la suite des changements à la direction locale, l’ouverture manifestée il y a deux ans est moins présente.


À la défense du service public

Le Syndicat des employés de la Société des traversiers Québec-Lévis (CSN) lie intimement la défense du service public et la défense des intérêts de ses membres.

« Nous nous sommes toujours battus pour maintenir des heures étendues et des prix abordables pour la clientèle. C’est simple : un service public si tu n’as pas de clientèle, tu n’as pas de service, si tu n’as pas de service tu n’as pas de membres, donc pas d’emplois à défendre », explique France Paré. « Évidemment, quand on se bat pour des heures, c’est pour nos membres, mais c’est aussi pour la population, tout cela est lié », explique la trésorière.

La pratique est ancrée depuis longtemps. D’ailleurs, Éric Bégin tient à saluer le travail de 38 ans mené par son prédécesseur, Luc Desjardins, qui n’a jamais hésité à faire des alliances avec des comités de citoyens et a ouvert la voie par de nombreux combats syndicaux pour maintenir l’intégrité du service de traversier. « Le syndicat CSN remplit un double mandat de représentation de ses membres et de représentation sociopolitique plus large, ce qui est dommage c’est que la population ne voit pas le travail, elle ne comprend pas que les baisses de tarifs sont dues à des pressions syndicales », déplore M. Bégin.

« Nous nous sommes toujours battus pour le traversier », rappelle France Paré qui constate que ce n’est pas toujours le cas des acteurs politiques de la région. « À part quand il y a une grève, on n’entend pas beaucoup les députés et les maires défendre le traversier et son importance», note France Paré.

« Quand j’entends le maire de Lévis dire que le pont de Québec c’est le premier lien, ça m’enrage ! Le premier lien, c’est le traversier », lance France Paré. « On a un super beau service de traversiers dans la région dont on peut être fier, on invite tous les syndiqué-es CSN de la région et leur famille à venir nous voir à la traverse Québec-Lévis et surtout de profiter d’une belle traversée », conclut Éric Bégin.


Extrait du numéro de septembre 2017 du journal Le Réflexe