Pénurie de main-d’œuvre
Une journée pour y réfléchir ensemble
Le Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN) a mis sur pied un comité de travail pour organiser une journée régionale de réflexion en avril 2018 sur la problématique de la pénurie de main-d’œuvre avec les représentantes et représentants des syndicats pour dégager collectivement des outils et des moyens d’action.
Par Nicolas Lefebvre Legault, conseiller à l’information
« On est dans une économie régionale en croissance, avec des taux de chômage historiquement bas et une population vieillissante », explique Yves Fortin, secrétaire général du conseil central, « on assiste à un phénomène marqué de pénurie de main-d’œuvre et ça a des effets notables sur l’organisation du travail. » Selon le secrétaire général, les syndicats de la région font part quotidiennement à l’équipe du conseil central, de problèmes en lien avec la pénurie. « Les conditions de travail se dégradent en raison du manque d’effectifs », note le syndicaliste, « ça a des conséquences directes sur les salarié-es en termes d’épuisement physique et psychologique, de santé et sécurité au travail et même de détresse liée au présentéisme. » C’est pour tenter d’améliorer les choses et soutenir les syndicats dans leur rôle de représentation des membres auprès des employeurs que le conseil central a eu l’idée d’organiser une journée de réflexion.
Lors d’une première rencontre de travail, les membres du comité ont commencé à dresser un portrait des effets de la pénurie de la main-d’œuvre dans certains milieux.
Des avantages inaccessibles
Il y a une pénurie de main-d’œuvre incroyable en santé. Selon le conseiller syndical Stéphane Côté, de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), la pénurie a des effets sur les conventions collectives. « Malgré des avantages intéressants dans les conventions collectives, les travailleuses et les travailleurs n’y ont pas accès », constate le conseiller, « par exemple les congés sans solde ou les clauses d’aménagement du temps de travail, c’est tributaire de l’accord de l’employeur et comme il y a pénurie, ce n’est jamais possible. »
L’organisation du travail est gangrenée par la pénurie de main-d’œuvre. « Les préposé-es aux bénéficiaires sont toujours en pénurie, il en manque à tous les étages, c’est de plus en plus difficile au point où les gens ne veulent plus de postes à temps plein de soir », explique Stéphane Côté, « malgré des conditions de travail intéressantes sur papier, les gens ne veulent plus venir travailler en santé, on n’arrive pas à recruter, alors les administrations sont plus répressives et serrent la vis, c’est une roue qui tourne. »
Des employeurs en demande
Dans l’hôtellerie, la pénurie de main-d’œuvre amène de gros problèmes d’heures supplémentaires et de divisions sur la question. « Certains employeurs sont en demande sur les congés, ils trouvent que les gens ont trop de congés, ils ne veulent plus de semaine réduite », explique Isabelle Vaillancourt, conseillère syndicale à la Fédération du commerce, « ils veulent croire que les problèmes d’heures supplémentaires viennent des trop bonnes conditions de travail ». Selon la conseillère, certains hôtels qui offrent quand même de bonnes conditions de travail n’arrivent pas à recruter. « Tout est mis sur les exigences, mais on ne parle pas des conditions de travail », déplore-t-elle, « plusieurs employeurs n’arrivent pas à se vendre et à se démarquer, ils n’ont pas adapté leurs processus à la nouvelle réalité. » « Les gens ne viennent plus travailler dans l’hôtellerie dans une optique de carrière », constate Sylvain Coulombe, trésorier du Syndicat des travailleuses et des travailleurs de l’Hôtel Delta (CSN), « pour eux c’est un tremplin, alors quand on leur demande d’être qualifiés, même si c’est juste pour boucher des trous, et qu’on ne leur garantit pas d’heures, ils ne restent pas. »
Divisions internes
Dans le secteur manufacturier, les employeurs font de plus en plus appel à la technologie ou à de la main-d’œuvre étrangère pour faire face aux problèmes de recrutement. « On voit apparaître des robots collaboratifs qui prennent la place des manœuvres dans notre usine », raconte Maxime Jobin, président du Syndicat des travailleuses et des travailleurs d’Outils Garant (CSN), « chez Hostess Frito Lay, ils ont même rentré des lifts sans conducteurs, ça devient une solution à la pénurie de main-d’œuvre, mais ça coûte des millions de dollars, ça ne s’implante pas du jour au lendemain. »
« C’est difficile de recruter pour une usine comme la nôtre, située dans un village, alors les patrons se sont tournés vers la main-d’œuvre étrangère, des réfugiés », explique Maxime Jobin, « les membres ont peur aux disparités de traitement et on ne se le cachera pas, il y a aussi du racisme. » Un phénomène qui se vit aussi en santé et dans l’hôtellerie où, afin de garder de bons employé-es, les patrons n’hésitent pas à faire du deux poids, deux mesures et accorder à des personnes des demandes, de congés par exemple, qu’ils n’accordent pas à des salarié-es plus anciens.
« La pénurie de main-d’œuvre crée des problèmes au niveau syndical », note Maxime Jobin, « les gens négocient de plus en plus seuls face aux patrons ». Stéphane Côté croit, par ailleurs, qu’on a de la difficulté à s’adapter syndicalement aux nouveaux besoins de nos membres. « On a parfois de vieux réflexes, les employeurs aussi, et on offre des choses que les gens ne veulent pas », pense le conseiller, « il faut cheminer sur ce que ça veut dire améliorer les conditions de travail, ce n’est pas juste une question de salaire, c’est aussi une question d’horaire et d’aménagement du temps de travail. » « Dans notre secteur, le travail est souvent en dent de scie, on aurait voulu introduire des banques d’heures pour égaliser un peu les revenus, mais l’employeur manque de souplesse », constate Sylvain Coulombe, du syndicat du Delta. Isabelle Vaillancourt en rajoute : « il y a des enjeux de rétention de la main-d’œuvre, ce n’est pas qu’une question de salaire, il faut avoir envie de travailler, avoir du plaisir, il faut trouver des manières de rendre ça plus agréable ». Une réflexion qu’il faudra poursuivre collectivement.
Soyez à l’affût, le Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN) lancera bientôt une invitation pour une journée de réflexion syndicale sur la pénurie de main-d’œuvre.
Extrait du numéro de février 2018 du journal Le Réflexe