La réforme Barrette a trois ans cette semaine. Pour l’occasion, le Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN) et ses trois syndicats du secteur ont fait enquête pour savoir comment ça se passait sur le terrain. Nous avons rencontré des dizaines de personnes œuvrant un peu partout dans le réseau, des deux côtés du fleuve, dans une grande diversité de titres d’emploi et le constat est le même partout : le réseau est en crise et le personnel est au bout du rouleau.
Par Nicolas Lefebvre Legault, conseiller à l’information
Des témoignages convergents
Outre le personnel rencontré directement sur les sites, une vingtaine de personnes ont accepté de livrer un témoignage dans le cadre d’une série intitulée « Les visages de la réforme ». Les témoignages sont saisissants et dévoilent une réalité terrain peu reluisante.
« Ce qui ressort de l’enquête, c’est qu’il manque de personnel partout. En conséquence, les tâches s’alourdissent parce que les gens qui s’absentent ne sont pas remplacés, plusieurs corps de métier sont astreints à des heures supplémentaires obligatoires et l’épuisement professionnel est en progression », souligne Richard Boissinot, président du Syndicat des travailleuses et des travailleurs du CIUSSS de la Capitale-Nationale (CSN). « Les gens ont énormément de pression sur les épaules. Ils ressentent de plus en plus de frustration face à leur travail qu’ils n’ont plus le temps de bien faire, le climat de travail se détériore et les conflits se multiplient. »
« Nous assistons à la gigantisation de nos milieux de travail. Nos membres ne sont pas considérés et ne sont pas écoutés par leur employeur », explique Danny Roy, président du Syndicat des professionnèles, techniciennes et techniciens de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale (CSN). Aux sévères problèmes de recrutement, s’ajoute un phénomène grandissant de désertion du réseau.
« Les conditions de travail se sont nettement déterriorées pour les personnes techniciennes et professionnelles depuis la mise en place de la réforme Barrette. Près de 8 % de nos membres sont actuellement en assurance salaire. Nous recevons quotidiennement des appels de nos membres qui veulent quitter le réseau avant de sombrer dans la maladie », explique Danny Roy. « C’est un phénomène inquiétant qui risque d’accentuer la pénurie de main-d’œuvre et d’affecter les services à la population». Plusieurs intervenants craignent un choc similaire aux départs massifs à la retraite de 1998.
Sous-financement et explosion des coûts d’assurance
« Les chiffres ne mentent pas et corroborent les témoignages recueillis », explique Lucie Langlois, vice-présidente régionale pour la fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). Une récente étude de la fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) révélait que le manque à gagner cumulatif des quatre dernières années s’élevait entre 5 et 7 milliards de dollars dans l’ensemble du réseau. « Les coupures ont laissé des traces profondes et d’ailleurs, ce n’est pas fini », dénonce Lucie Langlois.
« Nous constatons une explosion des coûts de l’assurance salaire au CISSS Chaudière-Appalaches », révèle Barbara Poirier, présidente du Syndicat du personnel de bureau, des techniciens et professionnels de l’administration de Chaudière-Appalaches (CSN), « très concrètement, c’est plus de 6 % de la masse salariale qui est allée en assurance salaire l’an dernier, l’épuisement du personnel coûte excessivement cher au réseau ». Par ailleurs, l’employeur dépense une fortune pour faire revenir les gens
au travail, tombés au combat parce que justement, ils tiennent ce réseau malade à bout de bras, et ce, au lieu de mettre en place des solutions qui éviteraient justement ces congés maladie. Le ministre aura beau dire que c’est là une conséquence attendue de la réorganisation du réseau, il n’en demeure pas moins que la part de la masse salariale qui va en assurance salaire est en progression constante depuis quatre ans et c’est inacceptable! « Aussi, il faudrait réaliser qu’au-delà des chiffres astronomiques, on parle quand même de travailleurs et de travailleuses que leur travail a littéralement rendu malades, ce sont des gens qui souffrent », s’indigne Barbara Poirier.