Pour entamer la réflexion sur le paritarisme à la CSST (CNESST), comme l’avait mandaté le dernier congrès, le conseil syndical du Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN) a reçu Roch Lafrance, de l’Union des travailleuses et des travailleurs accidentés de Montréal (UTTAM). Le paritarisme fonctionne-t-il ? Réussissons-nous réellement à voir l’intérêt des travailleuses et des travailleurs ? Est-ce toujours souhaitable ? Y a-t-il des choses à changer ?
Les origines du paritarisme à la CSST
Roch Lafrance rappelle que le mouvement ouvrier a mené, dans les années 1960 et plus particulièrement dans les années 1970, des luttes très importantes sur la santé et la sécurité au travail (ex. : la grève de l’amiante de 1975 sur la question de l’amiantose). Les luttes étaient préparées de longue date et difficiles à mener, mais elles montraient que la mobilisation était très importante sur cet enjeu et menait à des gains.
Alors, d’où vient le paritarisme ? Avant l’adoption de la loi sur la santé et la sécurité au travail, en 1979, ce n’était pas compliqué : il n’y avait aucune concertation patronale/syndicale formelle sur le sujet. Les conflits et les grèves très importantes sur cette question ont amené le gouvernement à se dire qu’il fallait faire quelque chose pour moderniser les lois qui dataient des années 1930.
C’est en 1978 que Pierre Marois, du Parti Québécois, annonce une réforme qui rassemble et modernise toutes les lois existantes sur la santé et sécurité au travail et procède à la création d’une Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST). Pour chapeauter le tout, on introduit le paritarisme.
Le ministre est très clair dans le préambule de son livre blanc : seule la participation active et volontaire du milieu de travail lui-même peut régler les problèmes de santé et sécurité au travail. Pour lui, le rôle de l’État est de donner les outils aux parties pour qu’elles trouvent, elles-mêmes, les solutions. Une autre façon d’expliquer le désengagement de l’État est de dire aux parties : « débrouillez-vous entre vous, on vous donne des outils, mais nous on ne s’en mêle plus. »
Roch Lafrance rappelle qu’à l’époque, les organisations syndicales (la vaste majorité) rejettent le paritarisme, sauf la FTQ. Lors du dépôt de la loi, toutes les organisations syndicales ont demandé des amendements fondamentaux, notamment sur la question du paritarisme. Les organisations syndicales faisaient valoir qu’elles avaient des comités autonomes en santé et sécurité au travail et qu’elles ne voulaient pas soumettre la question à une négociation avec les patrons. Ceci dit, à peu près toutes les organisations syndicales ont fini par accepter la notion du « paritarisme ».
Le paritarisme s’applique à tous les niveaux, à partir des comités dans les milieux de travail jusqu’au conseil d’administration de la CSST. En 1980, le c.a. de la CSST était composé de 15 personnes, c’est-à-dire sept membres représentant des travailleuses et des travailleurs (quatre FTQ, deux CSN et une personne de la CEQ devenue depuis la CSQ), sept membres représentant les patrons et un PDG nommé par le gouvernement.
Dans les organisations syndicales, le paritarisme n’est pas passé comme une lettre à la poste. Au congrès spécial de 1980, la CSN décide de participer au c.a. de la CSST. En 1982, le congrès décide de se retirer par un vote majoritaire, mais les délégué-es de la CSN décident de continuer de siéger à titre « individuel ». À la CEQ on fait le même débat, la centrale se retire et elle est remplacée par la CSD. Au congrès de 1984, la CSN revient sur la décision et il est voté de retourner au c.a. de la CSST. La confédération reprend, de façon officielle, ses deux postes.
Le paritarisme fonctionne-t-il ?
Roch Lafrance rappelle que si le conseil d’administration a des pouvoirs habituels (adopter des budgets par exemple), il a aussi un pouvoir quasi législatif, soit le pouvoir d’adopter des règlements qui ont force de loi (ce qui est très important). C’est un pouvoir étendu en indemnisation et en prévention.
Ceci dit, au jour le jour, la CSST est dirigée par un comité de direction composé du PDG et de tous les vice-présidents (des hauts fonctionnaires). Le comité de direction a un mandat de gestion interne, c’est-à-dire d’établir les politiques et les directives, ce qui a des incidences très concrètes. De fait, quand on critique la CSST pour des décisions qui n’ont pas de sens, c’est souvent les décisions du comité de direction que l’on critique.
Même quand les membres syndicaux du conseil d’administration critiquent des politiques ou des directives, le comité de direction peut passer outre parce que le c.a. n’a pas de droit de regard sur ces décisions. Le vrai pouvoir à la CSST, c’est le comité de direction qui l’a dans la structure actuelle. En dehors des pouvoirs normaux d’un c.a. et du pouvoir extraordinaire de faire des règlements (à la condition qu’ils aient une majorité bien sûr), le c.a. de la CSST n’a pas de pouvoir. Ce qui fait dire à Roch Lafrance qu’en ce moment, le paritarisme ne fonctionne pas à la CSST.
Depuis la création de la Commission, nous avons assisté à deux grandes périodes. Jusqu’en 1985, selon Roch Lafrance, le conseil d’administration a fonctionné. Ils ont adopté des règlements (avec l’aide du vote prépondérant du PDG de la CSST), anticipant même des changements législatifs à venir (sur les maladies professionnelles entre autres). Ils ont commencé à implanter les mécanismes prévus dans la loi qui étaient des revendications ouvrières importantes quant aux groupes prioritaires (la loi prévoyait un échéancier progressif d’implantation). Les mécanismes de prévention pour les deux premiers groupes ont été adoptés et l’ont été partiellement pour le troisième groupe. Depuis 1985, rien ! Les groupes prioritaires des autres groupes demeurent en suspens grâce au blocage des représentantes et représentants patronaux et l’absence de leadership du PDG. Ce qui fait qu’il y a encore 85 % des travailleuses et des travailleurs qui ne sont pas couverts par les mécanismes de prévention pourtant prévus dans la loi sur la santé et la sécurité au travail.
Bien sûr, il y a des règlements qui sont adoptés tous les ans pour faire rouler la machine. Cependant, pour les choses importantes, particulièrement quand les organisations syndicales sont en demande, il n’y a eu aucun gain depuis 1985 selon Roch Lafrance.
Conclusion du militant : « Si l’on me demande : est-ce que le paritarisme fonctionne à la CSST, la réponse est définitivement non ».
Quelques effets pervers du paritarisme
Pour Roch Lafrance, les craintes des syndicats en 1978 sont devenues ce que l’on voit présentement sur le terrain. Les syndicats ont été dépossédés du dossier de la santé et sécurité du travail. Le dossier a été remis à des spécialistes dans les milieux de travail et il y a eu une perte de contrôle sur la question de la santé et de la sécurité au travail.
Cependant, il y a pire pour Roch Lafrance, un des effets pervers les plus graves du paritarisme c’est que les représentantes et représentants syndicaux au conseil d’administration de la CSST ont intégré les « bonnes règles de gouvernance » qui proviennent de l’entreprise privée. Entre autres, le secret et la confidentialité des travaux du conseil. Cela va à l’encontre d’une des motivations premières de la participation syndicale au paritarisme (qui était d’avoir l’information). Plus le temps passe, plus c’est opaque, l’information ne circule plus. Selon Roch Lafrance, les représentantes et représentants syndicaux signent des ententes de confidentialité et ne partagent plus les avis au ministre sur lesquels ils travaillent. Pour le militant, ça crée une culture où on se demande « coudon t’es là pour qui toi ? » Les représentantes et les représentants hésitent à faire part des discussions, ne font plus rapport à leurs instances et on nous arrive avec des surprises (un projet de loi dont personne n’a entendu parler par exemple). L’ennui, c’est qu’ensuite on parle de consensus, mais la base syndicale n’est pas informée au préalable, encore moins consultée.
Y a-t-il des alternatives ?
Selon Roch, il y a quatre alternatives possibles pour améliorer les choses. La première alternative, qui lui semble utopique, est de tenter de réformer le fonctionnement et les pouvoirs du conseil d’administration de la CSST. Il y a deux problèmes principaux dans le fonctionnement actuel du conseil : le président du c.a. ne tranche jamais et le c.a. n’a pas de droit de regard sur les politiques, les pratiques et les directives de la CSST. Évidemment, donner le droit au PDG de trancher ne voudrait pas nécessairement dire que les décisions iraient dans le sens voulu par les organisations syndicales, mais au moins il y aurait des décisions de prises et on pourrait se mobiliser contre les mauvaises.
Deuxième alternative, on pourrait dire, en tant qu’organisation syndicale, on quitte le conseil d’administration. Cependant, cela peut paraitre facile pour une organisation, mais ça ne serait peut-être pas utile. En effet, il est certain que les chaises ne resteraient pas vides longtemps, ce qui ne changerait rien au paritarisme. Tout ce que ça changerait, c’est que l’organisation qui se retirerait pourrait dénoncer la CSST et se mobiliser davantage contre les mauvaises décisions.
Troisième alternative, on pourrait imaginer un retrait concerté des organisations syndicales qui siègent sur le conseil d’administration. Roch Lafrance pense que cela pourrait avoir un impact si les centrales se retirent. Il y a lieu de croire que, du côté du gouvernement, il y aurait un malaise sérieux puisque les syndicats indépendants ne sont pas aussi représentatifs que les centrales.
Dernière alternative, on pourrait introduire à l’intérieur du conseil d’administration une troisième partie, qui se rajoute aux parties patronales et syndicales. Ce volet pourrait représenter « le bien public ou l’intérêt public » et serait indépendant (ex. : direction de la santé publique) ; l’immobilisme serait possiblement cassé.
En conclusion, Roch Lafrance a rappelé qu’« avec chaque année qui passe et rien qui ne change, on perd, parce que les conditions de travail sont en changement continuel ». Pour le militant, les milieux de travail deviennent de plus en plus dangereux. « Les patrons ont intérêt à ce que rien ne change, la CSST est à leur service. Nous, de notre côté, avons tout à gagner » conclut-il.