(Québec, le 27 janvier 2020.) – Le projet de loi no 40 consacre la fin des commissions scolaires et met fin à une instance démocratique régionale. Les décisions prises à Québec, au ministère de l’Éducation, n’auront donc plus de contrepoids régional significatif.
« Le projet de loi no 40 ne fait pas qu’abolir les commissions scolaires ainsi que les conseils des commissaires, il a des impacts sur plusieurs aspects du système scolaire. Par exemple, les centres de services n’auront plus à promouvoir et valoriser l’éducation publique dans notre société. Si la promotion revient aux écoles, on peut se demander quel genre d’impact ça aura », lance Stéphanie Richer, présidente du Syndicat des employées et employés du personnel de soutien de la Commission scolaire de Charlevoix (CSN).
« On peut se demander si la réforme profitera vraiment à la population étant donné que ce projet ne contient à peu près pas d’ajouts aux services directs à l’élève et à la loi sur l’instruction publique, ça ne traite presque exclusivement que de gouvernance », dénonce Éric Larouche, vice-président du Syndicat soutien scolaire des Navigateurs (CSN), « on peut se demander ce qu’il y a réellement là-dedans pour les élèves et les employés du système scolaire. »
Mise en compétition des écoles entre elles
« Un des problèmes que le projet de loi va entraîner c’est la mise en compétition des écoles entre elles pour attirer des élèves, ça va être très difficile pour certaines écoles de villages », affirme Manon Truchon, présidente du Syndicat de soutien de la commission scolaire des Appalaches (CSN). Permettre aux parents de choisir l’école de leur enfant pourrait avoir des effets pervers. Ce sont les écoles qui se verront dans l’obligation de promouvoir leur milieu, de publiciser leurs services alors que présentement c’est aux commissions scolaires que revient cette tâche. « L’école est un milieu d’éducation avant tout ! Ce n’est pas un endroit où il faudrait prévoir un conseiller en marketing pour attirer une clientèle », s’insurge la présidente du syndicat.
Moins de démocratie
Le projet de loi no 40 donne le pouvoir à un nombre restreint de personnes bénévoles qui vont siéger sur les conseils d’établissement et qui seront les seuls à élire les conseils d’administration des nouveaux centres de services scolaires. Le taux de participation aux élections dans les commissions scolaires était faible, nous en convenons, et la démocratie scolaire se devait d’être améliorée. « Avant de modifier une structure en raison d’un manque d’intérêt de la population à participer aux élections des personnes commissaires, il aurait dû y avoir une analyse approfondie d’un remodelage de votation », pense Isabelle Larouche, présidente du Syndicat du personnel de soutien scolaire des Découvreurs (CSN), « par exemple, les élections scolaires auraient pu se faire en même temps que les élections municipales ou provinciales. »
Un risque pour les emplois en région
Le projet de loi prévoit que le ministre de l’Éducation peut imposer des regroupements de services avec d’autres organisations ou entre les différents centres de service scolaires. « Les possibles fusions de services (taxes, paies, services technologiques) avec d’autres commissions scolaires ou encore des municipalités ouvriront la porte à la sous-traitance, à la perte d’emploi et à une perte d’expertise interne », pense Mme Larouche.
L’autre inquiétude pourrait venir d’un regroupement de services avec une autre organisation, comme le secteur privé, ce qui pourrait faire perdre des emplois ou diminuer les heures de ceux et celles qui travaillent dans les commissions scolaires actuelles. Ce remue-ménage insécurise grandement le personnel et risque de rendre la qualité des services inégale d’une région à l’autre. La grande réforme en santé a d’ailleurs déstabilisé tout un réseau sans jamais démontrer qu’il y avait des économies en bout de ligne. « L’économie locale peut-elle aussi en souffrir ? Qui dit fusion dit probablement adieu aux achats locaux. Présentement, nos commissions scolaires font affaire avec des fournisseurs locaux pour l’achat de matériel comme les livres par exemple, est-ce que ça va disparaitre ? C’est un risque réel si on regarde ce qui s’est passé en santé », s’inquiète Stéphanie Richer.
Les ingrédients d’une réforme Barrette
Même si la réforme Roberge diffère de celle sur la santé de l’ancien ministre Gaétan Barrette, comme cette dernière, elle concentre plusieurs pouvoirs entre les mains du ministre et éloigne donc les décisions de la région. Que ce soit par le projet de loi no 40 ou d’autres projets de loi et directives, le ministre de l’Éducation aura notamment le pouvoir de fusionner plus facilement des centres de services scolaires, même s’ils ne sont pas limitrophes; il prendra les décisions importantes sur les constructions et les agrandissements d’écoles et il pourra forcer les achats en commun pour tout le Québec quand il le jugera avantageux. « Plusieurs ajouts traitent d’ingérence du ministre et du gouvernement sur des réparations, des modifications et l’aménagement de nos écoles et ça m’inquiète, car ces processus peuvent donner suite à des ententes de gré à gré ressemblant grandement à de la collusion », soulève Éric Larouche.
De la poudre aux yeux
« Le projet de loi no 40 ne concerne que les structures et ne s’intéresse pas à l’éducation des élèves », dénonce Martine Robichaud, présidente du Syndicat de soutien scolaire Bellimont (CSN), « il ne contient aucune mesure pour ajouter des services aux élèves en difficulté ou favoriser la réussite scolaire, rien non plus sur la surcharge de travail du personnel de soutien. » De plus, le syndicat maintient qu’il n’y a pas d’économie à réaliser avec la réforme proposée si on considère tous les coûts engendrés par les changements. « Notre syndicat est en désaccord avec ce projet de loi puisqu’au lieu de s’attaquer aux services à l’élève, le ministre met l’emphase sur les structures », explique la présidente du syndicat.
« Cette réforme n’est que de la poudre aux yeux », maintient Ann Gingras, présidente du Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN), « elle ne vise qu’à satisfaire le noyau dur de la clientèle électorale de la CAQ et centraliser les pouvoirs au bureau du ministre alors qu’il y a tant de problèmes en éducation auxquels il faudrait s’attaquer de toute urgence ». Plutôt que de s’intéresser aux structures et à la bureaucratie, le ministre ferait mieux de s’attaquer au sous-financement chronique et à l’inégalité qui s’est installée au cœur du système d’éducation depuis plusieurs années. « L’école publique doit favoriser l’égalité des chances et le progrès social, nous appelons le ministre à s’atteler à ces chantiers plutôt qu’à un énième brassage de structures », a conclu Ann Gingras.