L’acquisition d’un traversier d’outre-mer par le gouvernement fédéral sera-t-elle vraiment une solution temporaire ?
Le gouvernement fédéral a fait l’annonce, la semaine dernière, de l’acquisition d’un traversier espagnol, le NM Villa de Teror, pour desservir les Îles-de-la-Madeleine. Bien qu’il s’agisse officiellement d’une solution dite « temporaire », en attendant la construction d’un navire de remplacement permanent par le Chantier Davie, la situation nous inquiète et nous amène à demander des précisions au gouvernement de Justin Trudeau.
Tout d’abord, le fait d’entendre le directeur général du CTMA, Emmanuel Aucoin, vanter les mérites de ce navire construit en 2019 a de quoi soulever bon nombre d’interrogations. Il faut savoir que le navire en question, le NM Villa de Teror, est un projet qui a connu son lot de difficultés techniques et de défauts de sécurité, notamment le non-respect du règlement de l’OMI (Organisation maritime internationale), qui met en péril la sécurité des passagers. La construction de ce bateau a duré 12 ans. Il a été abandonné par l’armateur, en cours de route, pour ensuite rester négligé sans qu’aucun entretien ne soit effectué sur les équipements essentiels. Le navire n’a été terminé qu’en 2019, mais son propriétaire actuel, l’un des plus grands opérateurs de traversiers espagnols, cherche déjà à le vendre. Nous sommes donc étonnés du choix de notre gouvernement. Est-ce vraiment une solution d’avenir sécuritaire ? Il nous semble que les expériences récentes d’achat de traversiers usagers d’outre-mer n’ont pas été positives, au contraire.
D’autre part, une fois l’acquisition faite, la tentation sera grande de retarder, voire de suspendre, la construction du NM Madeleine II (Jean Lapierre) par le Chantier Davie. Il nous semble qu’avec la grave crise économique provoquée par le coronavirus, la politique d’achat au Canada est plus que jamais vitale. D’ailleurs, la relance de l’économie constitue une pierre angulaire dans le discours du premier ministre Trudeau. La construction de navires au pays est précisément le type d’investissement dans les infrastructures qui contribuerait à relancer notre économie. À ce sujet, le chantier lévisien avait, en 2018, offert une solution sans risque pour le gouvernement fédéral afin de remplacer La Madeleine, offre qui fût rejetée du revers de la main par les bureaucrates d’Ottawa. Pourtant, le Canada a de grands besoins, connus et documentés, en matière de navires, que ce soit des traversiers, des brise-glaces ou des frégates. Nous devons saisir l’occasion pour faire d’une pierre deux coups en donnant des contrats ici. Cela fera travailler des gens d’ici et répondra ainsi aux besoins des gens d’ici.
Rappelons que le Chantier Davie a été intégré à la Stratégie nationale en matière de construction navale il y a un peu plus de six mois. Ce chantier concentre 50 % de la capacité de construction du pays ce qui en fait le plus grand chantier maritime du Canada. Certes, le gouvernement de Justin Trudeau a multiplié les annonces pour manifester son appui et son intention de corriger les erreurs passées à l’égard de la Davie depuis 3 ans. Que ce soit l’annonce de la conversion de quatre brise-glaces par le premier ministre lui-même au mois de janvier 2018 (ce qui s’est finalement soldé par la conversion des trois plus petits), l’annonce de la modernisation des frégates de la Marine royale canadienne en novembre 2018 ou la construction de deux traversiers en juin 2019, cela ne demeure que des annonces. On est loin de permettre aux travailleurs et aux travailleuses de la Davie de pousser un soupir de soulagement en voyant enfin l’injustice de 2011 corrigée. Les annonces ne mettent pas le pain ni le beurre sur la table à la fin de la semaine.
À ce jour, aucun contrat de construction annoncé ne s’est matérialisé en travail concret pour les travailleuses et travailleurs de la Davie. Inclure le Chantier Davie dans la Stratégie nationale en matière de construction navale est ce que l’on a toujours demandé. Toujours faut-il que le traitement qu’on lui réserve ne soit pas embourbé de dédales bureaucratiques. Soyons clairs, nous ne quémandons rien, mais souhaitons ardemment un traitement équivalent à ce qu’on accorde aux deux autres chantiers canadiens. Ce serait dommage de constater que malgré les annonces, les dés étaient pipés d’avance.
Ann Gingras, présidente
Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN)