Hôtellerie :
« C’est la catastrophe! »
L’hôtellerie, avec la culture et la restauration, est l’un des secteurs les plus touchés par la pandémie. Dire que ça roule au ralenti est un euphémisme. Le Réflexe a rencontré Sylvain Coulombe, président du Syndicat des employé-es de l’Hôtel Delta Québec – CSN, et Richard Watters, président du Syndicat des travailleuses et des travailleurs de l’Hôtel Pur Québec (CSN), pour en savoir plus.
Par Nicolas Lefebvre Legault, conseiller à l’information
La fermeture des frontières, puis le confinement et le ralentissement de l’activité économique ont mis un frein à peu près complet à l’activité dans le secteur de l’hôtellerie.
« On a eu une rencontre d’urgence le 19 mars, les patrons nous ont dit ‘’soit on ferme, soit vous consentez au travail des cadres’’, on a dit ‘’ok, mais quand ça repart, vous allez faire rentrer les syndiqué-es’’, les gens ont été mis à pied jusqu’à nouvel ordre », raconte Sylvain Coulombe du Delta, « on a eu une confirmation du licenciement collectif vers la fin août, début septembre [les gens gardent toutefois leur lien d’emploi 2 ans] ». Le taux d’occupation est passé de 90 % en moyenne dans l’hôtel à 6 % (grâce à la présence de groupes). « On a eu un soubresaut aux vacances de la construction, mais on a trouvé ça poche, il a fallu faire des griefs parce qu’il n’y a pas eu des rappels partout, depuis ça s’est tassé », raconte Sylvain Coulombe. Sur 80 employé-es réguliers, il y a 7 personnes qui travaillent en moyenne à l’Hôtel Delta depuis le mois de septembre.
« L’hôtel PUR a été fermé du 27 mars au 31 juillet, la décision de rouvrir était reportée de trois semaines en trois semaines en attendant la réouverture des frontières », se rappelle Richard Watters, « les frais fixes de l’hôtel sont d’environ 150 000 $ par mois, la réouverture vise à réduire les pertes tout simplement ». Le taux d’occupation du PUR a frisé les 10 % en novembre alors que le seuil de rentabilité de l’hôtel se situe autour de 60 %. Sur 110 membres, dont environ 80 employé-es réguliers, seule une trentaine ont fait au moins un quart de travail depuis le 31 juillet. « Il y a environ 15 personnes qui travaillent de façon régulière à l’hôtel en ce moment », précise Richard Watters, « ça a fait huit mois le 27 novembre que les gens sont en mise à pied, c’est la catastrophe. »
« Je n’ai jamais autant travaillé syndicalement que depuis que je suis mis à pied », nous confie Sylvain Coulombe, « du 21 mars au début septembre, il a fallu informer les gens sur l’assurance-emploi, la PCU, etc. on a des gens qui ont 35 ans d’ancienneté qui n’avaient jamais fait de chômage de leur vie, c’était une quinzaine d’appels par jour. On a eu beaucoup d’aide du conseil central et de la fédération. » L’employeur a aussi aidé en prolongeant de six mois l’assurance collective et le programme d’aide aux employé es (au lieu de 3).
« On est interpellé sur plusieurs fronts », poursuit Richard Watters, « les gens vivent beaucoup d’anxiété, ils ne savent pas ce qui s’en vient, on a beaucoup d’appels et de courriels ». Le syndicat essaie d’entretenir l’espoir tout en ne donnant pas de faux espoirs. « Les gens sont inquiets, une bonne proportion est également active dans la culture et la restauration, j’ai plusieurs collègues qui ont pour habitude de combler leurs heures en cumulant plusieurs emplois dans ces domaines, mais ce n’est plus possible », explique le syndicaliste.
Au Delta, contrairement au PUR, le syndicat a obtenu la création d’un comité de reclassement à la suite de pressions. « Le but du comité c’est de se donner des choix, d’ajouter des cordes à nos arcs », explique Sylvain Coulombe, « il y a plein de possibilités de formation, de perfectionnement, les gens veulent aller chercher des compétences, des perfectionnements qui leur seront utiles ensuite. On veut pouvoir offrir tous les services auxquels on a droit, et, pendant que les gens sont en formation, ils ne sont pas obligés d’être en recherche active d’emploi. »
« On a des gens qui se sont replacés dans différents endroits, mais on est inquiet pour l’avenir », confie Richard Watters, « si on perd nos collègues et qu’on ne recrute pas – les inscriptions à l’école d’hôtellerie sont en chute, c’est triste — ça va être dur pour les anciens aussi, déjà qu’avant la pandémie on était en rupture pour des départements comme les cuisines ou les préposé-es aux chambres, ça va être difficile de se faire remplacer, d’obtenir des vacances, etc. »
« Quand on parle avec les gens, ils veulent garder leur emploi, retourner en hôtellerie », nous dit Sylvain Coulombe, « ceux qui ont plus d’ancienneté, 10 ans et plus, on a des acquis et des avantages qu’on veut garder, mais ceux qui en ont moins et qui se sont trouvé autre chose, ceux qui ont fait la formation de préposé-e aux bénéficiaires par exemple, ils vont avoir des choix à faire et peut-être qu’ils vont vouloir aller ailleurs. »
« Moi je suis rentré à l’hôtel en 1982, j’étais étudiant en administration, c’était un ‘’en attendant’’ et je suis là depuis 37 ans. Depuis 1990, on a beaucoup amélioré les conditions de travail avec la négociation coordonnée, aujourd’hui l’hôtellerie c’est une carrière, ce n’est plus un ‘’en attendant’’ », raconte Richard Watters, « avoir mis tant d’énergie pour améliorer les conditions de travail – avec succès ! — et là on se dit que c’est menacé parce que tout ça dépend de notre rapport de force, c’est inquiétant aussi comme dirigeant syndical. »
À court terme, les conditions de travail à l’hôtel PUR sont protégées par une convention collective de sept ans qui se termine en 2023, « c’est le seul point positif », dit Richard Watters, mais ce n’est pas le cas partout. « On était en négo cette année, mais, avec la fédération, on a challengé l’employeur pour repousser ça au printemps 2021 », explique Sylvain Coulombe, « nous, on veut prolonger la convention collective, mais on pourrait être convoqué pour négocier n’importe quand. Je crois qu’ils n’ont pas plus intérêt que nous à faire ça maintenant. »
« Je m’ennuie de l’hôtel, c’est sûr, et on souhaite un retour rapide, mais pas à n’importe quel prix, il faut que ce soit sécuritaire », dit Sylvain Coulombe. « La grosse inquiétude c’est quand on va être prêt à repartir la machine, est-ce que le staff va être là ? Est-ce que la relève va être là ? », conclut Richard Watters.
Extrait du numéro de décembre 2020 du journal Le Réflexe