Projet de loi 59, un mépris pour les femmes
C’est presque incroyable d’entendre le ministre du Travail, Jean Boulet, ainsi qu’Isabelle Charest, ministre responsable de la Condition féminine, qui se targuent de clamer haut et fort que la réforme qui vise les lois en santé-sécurité au travail se veut une mise à jour féministe. D’ailleurs, lorsque la ministre est interpelée à ce sujet elle cherche ses mots… et avec raison.
Rappelons-nous que les quatre grands mécanismes de prévention que sont un comité de santé-sécurité, un programme de santé spécifique à l’établissement, un programme de prévention et un représentant à la prévention s’appliquent à seulement 15 % du marché du travail depuis plus de 35 ans maintenant. Le conseil d’administration de la CNESST qui avait la responsabilité d’étendre les mesures à l’ensemble des secteurs d’activité a refusé d’agir.
Aujourd’hui, le ministre préfère saupoudrer avec parcimonie des éléments mineurs des mécanismes de prévention, en introduisant la notion qu’il qualifie de « niveau de risque », tout en enlevant ce qui va bien dans les groupes prioritaires actuellement. Et il récupère allègrement dans les règles d’indemnisation au grand plaisir des associations patronales.
Selon les niveaux de risque proposés, nous retrouvons 74,9 % des femmes travaillant dans un secteur d’emploi jugé à faible risque contre 51,6 % des hommes, ce qui entrainerait des doubles standards sur le plan de la prévention. Selon le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT), les femmes sont exposées à des risques majeurs qui ont été souvent sous-estimés. En se basant sur les indemnisations passées pour créer les niveaux, on crée un cercle vicieux qui perpétue la discrimination envers les femmes car elles ont historiquement sous-déclaré leurs lésions. De plus, la détresse psychologique est un fléau trop peu souvent accepté par la CNESST. Rien dans le projet de loi ne corrige cette situation, au contraire.
De plus, il est assez incongru, en ces temps de pandémie, de constater que les milieux de la santé, de l’éducation et de la petite enfance soient considérés en tant que milieux à faible risque. À ce sujet, aucune négociation n’est possible. Nous continuons d’exiger que les mécanismes de prévention soient appliqués intégralement à tous les secteurs d’activités, et ce, sans distinction aucune.
En ce qui concerne le retrait préventif des femmes enceintes ou qui allaitent, l’avis du médecin traitant ne sera plus prépondérant mais plutôt assujetti à des normes nationales. À défaut de retrouver un danger dans ces normes, il reviendra au médecin de la compagnie de déterminer si danger il y a.
Bien que nous retrouvions l’introduction d’une obligation de protéger la travailleuse victime de violence conjugale sur les lieux du travail, les intentions du ministre s’arrêtent là. Sans véritable moteur, il s’agit d’une énonciation qui a des grandes chances de demeurer vœux pieux à même titre que l’énoncé dans la loi, depuis 40 ans, d’une obligation « d’éliminer à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs ».
Jean Boulet nous répète qu’il vise à mettre l’accent sur la prévention afin de réduire les coûts d’indemnisation. Pourtant, les coupures qu’il projette seront en vigueur à l’adoption alors que les mécanismes de prévention édulcorés prendront effet entre 2023 et 2025 seulement. Il ne se gêne même pas pour quantifier sa volonté de récupération qui pourrait atteindre 4,3 milliards de dollars de façon cumulative sur dix ans. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, ferait reculer dramatiquement les droits des victimes d’accidents de travail ou de maladies professionnelles; en ne s’attaquant pas aux problèmes de judiciarisation du régime, la tendance de celles-ci de se tourner vers les assurances collectives se poursuivra sans doute. Projet de loi féministe? Vraiment M. le ministre?
Sur ce, je vous souhaite un bon 8 mars!
Extrait du numéro de mars 2021 du journal Le Réflexe