Annick Charette, présidente de la FNCC-CSN

Des mots qui font taire

La Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC-CSN) a publié l’an dernier une étude portant sur la prévention du cyberharcèlement au sein des entreprises médiatiques et des mesures de soutien aux victimes apportées par les employeurs. Nous nous sommes entretenus avec Annick Charrette, présidente de la fédération, pour en savoir plus.

Cette étude nous apprend que plus de la moitié des journalistes disent avoir subi du cyberharcèlement dans le cadre de leur travail. Pire, plus d’une ou un journaliste sur 10 dit avoir évité de couvrir certains sujets par peur d’intimidation et de représailles. Pourtant, le travail journalistique est au cœur de notre société et de notre vie démocratique. Sa liberté et sa capacité à traiter d’un sujet ou d’un autre se doivent d’être protégées pour nous assurer de ne pas laisser sous silence de l’information importante pour la population.

« Ce que l’on doit comprendre, c’est que les journalistes vivent dans un climat de peur et de harcèlement récurrent qui les empêche d’accomplir convenablement leur travail. Le harcèlement vient aussi affecter leur capacité à avoir un regard positif sur leur travail », indique Annick Charette.

Au-delà même du cyberespace, Annick Charette nous indique que de plus en plus de journalistes doivent maintenant retirer leur affichage –enlever ou cacher les logos des médias qui les emploient par exemple — pour éviter de subir de l’intimidation ou du harcèlement en public.

Nous avons tous encore à l’esprit les évènements des dernières années où des personnes travaillant pour différents médias se sont fait injurier, bousculer et agresser dans l’exercice de leurs fonctions pour les forcer à mettre fin à leur reportage. « Ce que l’on doit comprendre de ça, c’est que ça se produit ici au Québec. Pas besoin d’aller en zone de guerre pour subir l’intimidation », nous indique-t-elle.

Les dernières années nous démontrent donc un monde en pleine évolution. Les limites sont maintenant complètement différentes de ce qu’elles étaient au tournant des années 2000. « Maintenant, à partir du moment où tu fais ton travail et te penches sur un sujet qui peut porter à la controverse, il n’est plus rare de voir cette contestation s’articuler de n’importe quelle façon, et souvent avec récurrence, notamment à cause des médias sociaux. C’est une condition de travail qui n’existait pas il y a seulement quelques années et qui se doit d’être adressée », souligne la présidente de la fédération.

Des solutions pour l’avenir

Bien que le contenu de l’étude soit consternant, il ouvre la porte à une prise de conscience collective de l’enjeu, mais aussi à des solutions à mettre en place afin de protéger non seulement les journalistes, mais aussi le monde journalistique et ce pour quoi elles et ils travaillent, l’information. Elle se trouve au cœur de notre exercice démocratique et les travailleuses et les travailleurs qui la constituent se doivent d’être protégés pour nous assurer qu’elles et ils puissent effectuer leur travail sans crainte de représailles.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la FNCC-CSN a décidé d’agir pour tenter de mitiger les impacts que peut avoir le cyberharcèlement sur les travailleuses et les travailleurs de l’information. Dans un premier temps, une formation d’un peu plus d’une heure a été mise sur pied. Annick Charette nous en parle davantage : « C’est une formation qu’on donne en collaboration avec les chercheurs qui ont participé à l’étude dans les milieux d’enseignement pour les préparer à ce qui les attend et leur offrir la chance de s’outiller un peu avant que ça leur arrive. »

Du même souffle, des rencontres avec les employeurs sont organisées pour tenter de mettre en place, de façon non partisane et conjointe, des plans d’action et des solutions pour protéger les travailleuses et les travailleurs qui doivent conjuguer quotidiennement avec ces enjeux.

Finalement, il y a une volonté de faire une seconde partie de recherche qui prendrait la forme d’un observatoire. L’objectif est de documenter les attaques et de voir qui en a été victime. « Avoir plus d’information spécifique sur la situation va nous permettre d’augmenter notre argumentaire », indique la présidente de la fédération. « Cela va nous aider à demander des changements dans nos milieux de travail et dans les lois. »

Les dernières années de changement ont donc mis la table à une refonte du milieu journalistique et des lois qui le gouverne. Il est dommage de constater malheureusement que ces changements se font pour répondre à des situations de harcèlement de plus en plus récurrentes. Il importe d’encourager un climat en ligne sain et absent de harcèlement, et ce, peu importe le cadre, qui l’entoure. Soyons des alliés de première ligne pour ces victimes.


Extrait du numéro d’avril 2023 du journal Le Réflexe