La cyberviolence n’arrête pas aux portes du syndicat

« T’es tellement cute », « si tu veux un amant, fais signe », « tu as un cul d’enfer »… Les mots qui s’affichent à l’écran sont lus à voix haute par des militantes. Les délégués (une centaine) sont silencieux, tellement qu’on peut entendre le bruit des frigidaires dans le fond du resto de la rue Saint-Joseph où s’est réunie l’assemblée générale du conseil central.

À quelques semaines du 8 mars, les militantes du comité de la condition féminine du Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN) ont monté un atelier coup de poing sur la cyberviolence en contexte syndical. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce fut un choc pour les hommes présents ! Savoir que leurs collègues reçoivent des commentaires plus qu’inappropriés c’est une chose, de voir ces mêmes commentaires défiler à l’écran c’est autre chose.

« Nous avons voulu sensibiliser tout un chacun, à ce que les femmes peuvent recevoir comme message à caractère sexuel aujourd’hui à l’intérieur du mouvement, notre mouvement », explique Mélanie Pelletier, vice-présidente du Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN) et responsable du dossier de la condition féminine, « parce que, oui, ça arrive souvent ».

Des militantes syndicales reçoivent ainsi régulièrement des commentaires sur leur habillement, des avances sexuelles, des « compliments » sur leur corps, etc. Cela arrive pendant et après des assemblées syndicales, pendant et après des visites sur des lignes de piquetage, pendant et après des représentations politiques et des passages dans les médias. Parfois, les commentaires sont dits de vive voix, souvent ils arrivent par texto, par Messenger ou sur les médias sociaux.

Certains commentaires visent clairement à déstabiliser et à faire taire les femmes qui occupent l’espace public. « L’autocensure forcée signifie que les voix des femmes sont sous-représentées, ce qui réduit la diversité dans les discussions et les décisions sociétales, politiques et économiques », dénonce Mélanie Pelletier.

On aurait pu espérer que le mouvement syndical soit un espace sécuritaire pour les femmes qui décident de s’y investir, or, il n’en est rien. Les militantes et les dirigeantes syndicales sont soumises exactement aux mêmes formes de cyberviolence que toutes les autres femmes. Sans même faire d’appel à toutes, simplement en demandant aux femmes impliquées dans notre mouvement syndical, nous avons trouvé assez de matériel pour monter un atelier au complet portant sur la cyberviolence qui leur est destinée.

« On comprend qu’on a été cowboy un peu, qu’on sort des sentiers battus, mais tout ça, c’est bien réel », rappelle Barbara Poirier, présidente du conseil central, « Ce que les délégué-es ont vu, ce sont des messages que des femmes reçoivent sur leurs cellulaires, dans leurs activités syndicales. » La syndicaliste explique que très souvent les femmes ne parlent pas de ces messages avec leurs conjoints ou leurs collègues, ou alors seulement avec d’autres militantes. « Je pense que c’est parce qu’en plus de notre propre peine et notre propre indignation, il faudrait aussi gérer la leur », dit-elle, « donc on garde ça pour nous, on se tait ou on en parle entre femmes. » L’accumulation, selon Barbara Poirier, amène une grande lassitude et beaucoup de colère. « Il y a autre chose qui naît de cette colère-là », laisse-t-elle tomber, « pas besoin de chercher bien loin pour voir d’où viennent des étiquettes comme ‘’féministe enragée’’ ou ‘’femme frustrée’’. »

L’objectif de l’atelier, toutefois, n’était pas de pointer du doigt ou de cultiver un certain sentiment de culpabilité. « Ce que l’on recherche, ce sont surtout des alliés dans les luttes », explique Barbara Poirier, « la condition féminine a beau être un volet très important à la CSN, il arrive que certains se questionnent sur sa pertinence ou roulent des yeux quand on en parle, ce qu’on espère en organisant des ateliers comme celui-là c’est que de plus en plus de camarades comprennent mieux pourquoi on y met tant d’efforts et en quoi c’est encore pertinent en 2023. »

Un documentaire pour aller plus loin

C’est dans la foulée de la sortie de l’excellent documentaire « Je vous salue salope, la misogynie au temps du numérique » qui a été projeté lors de la journée thématique en condition féminine que les militantes du comité de la condition féminine du Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN) ont voulu savoir ce qu’il en était de la cyberviolence en contexte syndical.

On le sait, une forme de violence patriarcale particulièrement vicieuse se déploie de manière décomplexée sur internet. Selon les dernières statistiques, 73 % des femmes ont déjà subi une forme de violence en ligne. De quoi parle-t-on ? Par exemple, 53 % des jeunes femmes ont déjà reçu des images sexuellement explicites qu’elles n’avaient pas sollicitées. De plus, 54 % des femmes qui ont été victime de cyberviolence connaissaient l’agresseur. Résultat, pour la moitié des femmes, internet n’est pas un endroit sûr pour partager leurs idées.

Il est possible de louer le documentaire, d’organiser une projection ou de le voir à la maison, tous les détails sur le site Web du film à https://jevoussaluesalope-film.com/


Extrait du numéro d’avril 2023 du journal Le Réflexe