Entretien avec un syndicaliste Huron-Wendat
« Nous sommes voisins depuis plus de 400 ans »
Nous sommes allés à la rencontre de Mario Gros-Louis, qui est ingénieur forestier et président du Syndicat des employé-es du conseil de la Nation huronne-wendat (CSN), à l’occasion de la Journée nationale des peuples autochtones afin d’en savoir plus sur nos voisins de Wendake et sur ce syndicat si singulier.
>> Cliquez ici pour télécharger au format PDF (format lettre / recto-verso)
Mario Gros-Louis travaille depuis 13 ans comme analyste en aménagement du territoire pour le conseil de la Nation huronne-wendat. « Depuis 2004, à la suite des jugements de la Cour suprême du Canada comme Haïda et Taku River, les gouvernements ont l’obligation de consulter les Premières Nations pour tous les projets de développements, politiques, lois, etc. qui pourraient avoir un impact sur nos droits, nos activités, nos intérêts, etc. », nous explique-t-il. Avant de travailler pour le conseil, Mario Gros-Louis œuvrait à l’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador, qui est une branche de l’APNQL. « Je suis venu ici pour aider à mettre en place le processus de consultation », explique-t-il, « l’équipe de consultation au sein du Conseil est devenue la porte d’entrée autant pour les promoteurs que pour les gouvernements. »
Mario Gros-Louis s’implique au syndicat depuis cinq ans et demi maintenant, d’abord comme vice-président et puis, assez rapidement, avec le rôle d’agent de griefs. « Quand l’ancien président du syndicat a pris sa retraite il y a deux ans, je me suis présenté à la demande de nombreux syndiqués », raconte-t-il, « c’était juste avant les négos, et après de courtes réflexions, j’ai sauté dans le bain et je n’ai pas détesté ça. »
Le Syndicat des employé-es du conseil de la Nation huronne-wendat (CSN) est très particulier pour le conseil central. Déjà, c’est le Code canadien du travail qui s’applique à Wendake. De plus, l’accréditation couvre un très grand nombre de titres d’emploi. « On représente environ 350 personnes — c’est en explosion depuis 10 ans — qui travaillent notamment dans une école primaire et aux adultes, un CHSLD, un centre de santé, mais aussi une station-service », explique le président, « on a donc des membres qui sont cols-bleus, enseignants, ingénieurs, anthropologues, pharmaciens, etc., c’est très diversifié. »
Tous les membres du syndicat ne sont pas Hurons-Wendats, loin de là. « Nous sommes enclavés dans la ville de Québec, l’éducation est donc très accessible pour nous », explique Mario Gros-Louis, « on est une nation qui a toujours été axée sur le développement économique et les échanges –il y a plus de 200 PME sur le territoire de Wendake—le taux de chômage est pratiquement inexistant, donc il y a des allochtones et des membres des autres Premières Nations qui travaillent ici. Au syndicat, on est là pour défendre tous les syndiqués, pas juste les Hurons-Wendats. » Environ 75 % des membres du syndicat sont Hurons-Wendats, les autres viennent d’un peu partout dans le monde (et de Québec évidemment).
Autre particularité syndicale selon Mario Gros-Louis, « on est une communauté, tout le monde se connaît. » Le président donne sa famille en exemple : « ma mère travaille à l’école, mon frère au centre de santé et sur une trentaine de cousins et cousines, j’en ai une douzaine qui travaille pour le conseil et le plus vieux est un chef familial élu. » « On est dans un contexte particulier, on ne peut pas se chicaner, on va se croiser au quotidien », ajoute-t-il, « c’est la même chose avec les patrons. Par exemple le chef attitré à mon bureau est un ami d’enfance, je connais très bien le DRH et je joue parfois au hockey avec ou contre, etc. Nous sommes condamnés à développer des liens de confiance et une bonne collaboration. »
Journée nationale des peuples autochtones
Que signifie le 21 juin, la Journée nationale des peuples autochtones pour le syndicaliste ? « C’est une date importante qui permet aux gens de se rappeler qu’on existe », répond Mario Gros-Louis, « ça fait 400 ans qu’on se côtoie, mais les gens ne nous connaissent pas, c’est une date pour souligner notre présence, notre patrimoine, notre culture, nos réalisations… c’est aussi un congé pour nous, plusieurs personnes vont le prendre pour aller dans le bois, la culture c’est aussi occuper le territoire. »
Plutôt que de parler de racisme, systémique ou pas, Mario Gros-Louis préfère parler de « méfiance spontanée ». « Dès qu’on fait quelque chose, dès qu’on a une initiative, on est face à de la méfiance spontanée, c’est arrivé par exemple quand nous avons créé une aire protégée pour la dernière forêt intacte de notre territoire, la seule en bas du 50e parallèle… certaines personnes ont été méfiantes, mais cela a permis de sensibiliser les gens à notre présence et identifier des voies de collaboration», se rappelle-t-il, « le 21 juin ça permet d’apprendre à se connaître, pour faire tomber la méfiance et les préjugés. »
Pour Mario Gros-Louis, les gens manquent malheureusement d’éducation en regard des Premières Nations. « Ça commence à l’école, entre la Nouvelle-France et la crise d’Oka, nous avons disparu des manuels d’histoire », explique-t-il, « les gens ont plein de préjugés sur les Premières Nations –on ne paie pas de taxes et d’impôts, les gens pensent qu’on chasse 48 orignaux en une fin de semaine—mais il faut toujours voir le contexte. Non, je ne paie pas d’impôts, mais seulement si j’effectue ma prestation de travail sur une réserve, pour les taxes c’est la même chose, je n’en paie pas, sauf quand j’achète ou fais livrer sur la réserve. » Selon lui, il y a beaucoup de préjugés liés à l’occupation du territoire, notamment la chasse et la pêche, « nous on a une politique sur la chasse, il y a des limites sur le nombre qu’on peut récolter et on tient des statistiques qui nous disent qu’on n’a pas autant d’impact sur la population d’orignaux que certaines personnes aiment le croire. Malheureusement, plusieurs personnes nous pointent facilement du doigt lorsque les populations d’orignaux plantent. »
« Je pense que ce serait bien de lire un livre comme Mythes et réalités sur les peuples autochtones, de Pierre Lepage », poursuit Mario Gros-Louis, « au lieu de juste perpétuer des mythes, pourquoi les gens ne viennent pas nous voir, nous parler, le 21 juin sert justement à défaire les barrières. » Sur l’histoire des Premières Nations en général, le syndicaliste conseille de s’informer auprès des Premières Nations directement. « L’histoire est écrite par le colonisateur, les Hurons-Wendats, par exemple, on nous présente comme des immigrés, mais nous notre conception de notre histoire, ce n’est pas ça », explique Mario Gros-Louis, « selon nous, quand Jacques Cartier est arrivé, c’est nous qui étions là. Nous faisons beaucoup de recherches en ce sens et on identifie de nombreux liens. Par exemple, l’archéologie et les mots wendats notés par Jacques-Cartier. »
« On est pris dans une histoire qui se perpétue, c’est une roue qui ne finira jamais de tourner, c’est dur de faire virer ça », dit Mario Gros-Louis, « dans la conception de l’histoire du Québec, la “souveraineté” influence l’histoire des Premières Nations, c’est comme si la terre était libre quand les Européens sont arrivés et qu’il n’y avait personne ici, mais c’est faux. » Selon lui, il y a plein de fausses interprétations sur le mouvement des différentes nations, ce qui accrédite l’idée de « territoire à prendre ». « Ça fait 400 ans qu’on est voisins, les Européens ce sont des gens qui sont venus ici et qui ont été accueillis par les Premières Nations présentes, le Québec s’est bâti à partir de bonnes relations », conclut Mario Gros-Louis, « il y a eu des hauts et des bas, mais c’est comme ça que le Québec et le Canada se sont construits. Il faut continuer comme ça, on sera toujours voisins : demain matin les gens d’origine européenne ne partiront pas, on partage le même territoire, on a davantage intérêt à se parler et à se connaître parce que, comme le disait l’ancien Chef de Wemotaci Simon CooCoo, “la connaissance éloigne les préjugés”. »