Négociation coordonnée de l’hôtellerie
L’été 2024 sera chaud
Une trentaine de syndicats CSN, dont sept à Québec, se préparent pour la 11e négociation coordonnée de l’hôtellerie. « On va avoir un très bon rapport de force, » prévient Michel Valiquette, trésorier de la Fédération du commerce — CSN et responsable politique du secteur du tourisme, « l’été va être chaud dans l’hôtellerie en 2024. »
Le contexte de cette ronde de négociation est très différent de la précédente. En 2021, en pleine pandémie, les syndicats avaient réussi à maintenir tous leurs acquis et faire quelques gains, mais avaient dû accepter des augmentations de salaire « bien raisonnables ». La situation a depuis changé du tout au tout.
Retour en force
Pour différentes raisons, la ronde de 2021 avait été un peu moins populaire que les précédentes. « Il y a plus de syndicats qui adhèrent cette fois, mais on est dans les moyennes des rondes précédentes, on parle d’environ 3 000 à 3 500 membres à travers la province et autour de 1 000 dans la région de Québec, » explique Michel Valiquette, « ce qui est intéressant c’est le retour de certains hôtels qui ont déjà été dans la négociation coordonnée, mais qui n’étaient pas là la dernière fois ».
C’est le cas de l’hôtel Le Concorde, à Québec. « Ça fait un bout qu’on n’a pas participé à la négociation coordonnée, » raconte Ines Hajrovic, présidente du Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôtel Le Concorde (CSN) et membre du comité de liaison de la négociation coordonnée 2024, « de revenir c’est un accomplissement, c’est le fruit de tout le travail qu’on a fait au syndicat. » Il faut dire que Le Concorde a vécu bien des turbulences dans la dernière décennie : vente, rachat, tentative de changement de vocation.
Lors de la relance de l’hôtel, le syndicat du Concorde avait dû accepter une convention de longue durée et bien des reculs. « Huit ans on a trouvé ça très long et là on a beaucoup de reculs à rattraper, » explique Ines Hajrovic, « on revient dans la négociation coordonnée à cause de la force que ça amène : embarquer dans un gros train qui roule à une bonne vitesse, ça peut juste être gagnant pour tous. »
Trois autres hôtels de la région, soit le PUR, le Classique et le Clarendon, sont également de retour dans la négociation coordonnée après une pause plus ou moins longue. Les autres, soit le Hilton, le Delta et le Manoir du lac Delage, sont des habitués et même fondateur dans le cas du Hilton.
Enjeux
La plateforme de négociation coordonnée repose sur sept demandes. La question des salaires risque fort d’être un enjeu : les syndicats demandent des augmentations de 15 % la première année et de 7 % par année pour les trois suivantes. « Je ne suis pas gêné de demander ça, on les mérite, » explique Joan Anctil, présidente du Syndicat des travailleuses et des travailleurs de Hilton Québec (CSN) et membre du comité de liaison de la négociation coordonnée de 2024, « la demande est plus grosse que d’habitude et ça risque d’effrayer un peu l’employeur, mais j’ai tous les arguments. »
« Compte tenu du contexte de pandémie dans lequel on est passé, la rapidité de la reprise et l’effervescence de l’industrie, le prix des chambres a augmenté beaucoup plus que l’inflation et les hôteliers en ont profité abondamment, » explique Michel Valiquette. Les chiffres de l’industrie donnent le vertige : alors que le coût de la vie a augmenté de 41 % depuis 2020, le prix moyen des chambres dans les hôtels a augmenté de 67 % pour la même période. « Nous, en parallèle, on a eu 8 % sur quatre ans, on s’est appauvri. Les hôteliers ont une dette envers les employés de l’hôtellerie et c’est en 2024 qu’ils vont la payer, » lance le trésorier de la Fédération du commerce.
« C’est sûr qu’il y a un enjeu de rattrapage salarial, d’être payé à sa juste valeur » poursuit Michel Valiquette, « mais c’est aussi un enjeu d’attraction-rétention, nos demandes sur les vacances, sur les assurances collectives et sur la formation sont directement liées à une volonté d’attirer et de garder une main-d’œuvre de qualité. »
Au Hilton, le recrutement reste un enjeu. « On a passé le pire de la crise, » pense Joan Anctil. Rappelons qu’en avril 2022 il ne restait plus que 150 syndiqués au Hilton, mais elle ne voit pas beaucoup d’effort pour embaucher. « On veut revenir au même nombre d’employés syndiqués qu’avant » précise la présidente du syndicat, « on est rendu tout près de 300, mais on devrait être autour de 360. On s’est beaucoup repris, ils ont engagé massivement, notamment en entretien ménager, mais c’est difficile. Il y a environ 300 personnes engagées qui ne sont jamais restées. »
Pour Michel Valiquette, les employeurs ne prennent pas leurs responsabilités en matière de formation. « Il y a des histoires d’horreurs, des gens qui ne finissent même pas leur premier quart de travail, » raconte le responsable politique du secteur du tourisme à la Fédération du commerce, « malgré que ce soit la responsabilité de l’employeur, souvent les syndicats vont avoir plus de sensibilité à la qualité du service à la clientèle et au maintien des standards. » Les syndicats prennent donc les devants pour proposer d’inclure des clauses sur la formation des employés dans leurs conventions collectives.
Ines Hajrovic soulève un dernier enjeu, intimement lié aux précédents : le travail d’agences. « On s’est retrouvé avec plein d’agences dans l’hôtel sans le consentement du syndicat, » explique la présidente, « on les a sorti, mais là on veut encadrer ça dans la convention collective. » Ça fait 20 ans que les agences de personnel minent le service à la clientèle dans les hôtels. La Fédération du commerce compte sur cette ronde de négociation pour les sortir de l’industrie et les remplacer par du personnel syndiqué permanent avec de bonnes conditions de travail.
Solidarité
Joan Anctil, qui a vécu un conflit de sept mois en 2021-2022, aborde cette ronde de négociation coordonnée sereinement. « C’est complètement différent, ce n’est pas du tout la même game qu’en 2021, » explique-t-elle. En 2021, le Hilton venait juste de rouvrir après une fermeture d’un an pour rénovation, les syndiqués devaient composer avec une nouvelle équipe de direction dans un contexte de Covid. « On était peu nombreux, une quinzaine au début. C’était un contexte difficile, on sentait qu’on n’était pas dans nos souliers, » se souvient la présidente du syndicat, « je pars vraiment avec un meilleur pressentiment, les relations sont meilleures, sans être les meilleurs amis du monde, disons qu’on est capable de se parler. »
Il n’en demeure pas moins que, dans le contexte, des conflits de travail ne sont clairement pas exclut dans l’hôtellerie cet été. Si jamais il devait y avoir des grèves, Joan Anctil est formelle : « l’appui du mouvement CSN est essentiel, c’est ça qui nous a permis de tenir et de gagner. » La militante se souvient de ses doutes et de ses appréhensions lors du déclenchement de la grève au Hilton le 7 septembre 2021. « Toute mon inquiétude est partie dès le premier jour, quand j’ai vu tout ce que notre conseiller syndical SAMVR avait prévu, l’appui du conseil central, de la fédération et de la CSN, » dit-elle.
« À la CSN on n’est pas tout seul s’il y a un conflit, on n’est pas “dans la m…” », explique-t-elle, « on est accompagné et soutenu par la centrale et il y a les visites d’appui des autres syndicats, les dons, tout ça, ça fait toute la différence. » Tellement que le syndicat du Hilton a décidé en assemblée générale de changer ses règles en ce qui concerne la solidarité avec les syndicats en conflit. « On veut être encore plus solidaires, plus généreux et proactifs que dans le passé, » révèle-t-elle. S’il y a conflit cet été dans l’hôtellerie, c’est cette énergie et cette solidarité « à la manière CSN » qu’il faudra déployer pour permettre à nos camarades de tenir la minute de plus… et gagner.
Extrait du numéro de mai 2024 du journal Le Réflexe