Les paramédics sont en grève avec services essentiels depuis plus de 10 mois, ils multiplient les actions et les interventions. Depuis quelques semaines, Frédéric Maheux, le président de l’Association des travailleurs du préhospitalier (ATPH–CSN), est très médiatisé, lui qui talonne le ministre sur le manque d’ambulances dans la région. Le Réflexe s’est entretenu avec lui pour en savoir un peu plus sur le métier et les défis qu’il comporte.
Par Nicolas Lefebvre Legault, conseiller à l’information
Paramédic ou ambulancier ?
Dans les médias et dans le langage courant, on parle plus d’ambulanciers que de paramédics. Quel terme faut-il utiliser ? « Le vrai nom du métier c’est : « technicien-ambulancier-paramédic », mais partout dans le monde on parle de paramédic. On a essayé de faire changer le titre d’emploi, mais au Québec on est un peu Gaulois et ça n’a pas marché », explique Frédéric Maheux. « Les gens préfèrent le terme paramédic, le métier a tellement changé. Ambulancier c’était avant, quand les seules qualifications requises étaient de savoir conduire et de ne pas avoir peur du sang, aujourd’hui ce n’est plus ça. Un paramédic c’est quelqu’un qui a eu une formation poussée, c’est un métier. »
Être paramédic aujourd’hui
« Être paramédic aujourd’hui, c’est être longtemps sur appel en commençant, être toujours incertain de ses horaires raconte Frédéric Maheux. C’est plusieurs années de travail à temps partiel et de travail de nuit. Si tu es chanceux, tu tombes sur un chiffre de soir ou de jour après des années. C’est des horaires de 8 à 12 h, une fin de semaine sur deux, c’est travailler à Noël ou au jour de l’An. »
« À Québec, être paramédic, c’est côtoyer beaucoup de misère sociale », ajoute le président du syndicat. Quel genre de misère sociale ? « Ça dépend des heures, le jour c’est beaucoup des personnes âgées qui sont seules, le soir ce sont des problèmes de santé mentale, la nuit s’ajoute des problèmes d’intoxication. C’est très demandant psychologiquement et émotivement ».
Éliminer la surcharge de travail
Quels sont les grands défis des paramédics en 2017 ?
« C’est pas mal l’horaire de travail, la surcharge de travail », nous dit Frédéric Maheux. Selon le président du syndicat, il y a une augmentation constante du nombre d’appels et les cas sont plus lourds, mais le nombre d’ambulances sur la route ne suit pas. « On est très à risque de finir en retard et de ne pas avoir de pause. Une fois ça va, mais c’est très fréquent, c’est stressant et fatiguant de ne jamais savoir quand on va finir, si on va être à l’heure pour la garderie ou à l’école par exemple. » La solution pour le syndicat est de diminuer la charge de travail pour que les quarts de travail soient plus faciles et plus agréables.
Personne ne peut être sur la corde raide à temps plein. D’ailleurs, l’autre grand défi des paramédics aujourd’hui, selon le syndicaliste, est de faire reconnaître le choc post-traumatique. « Il faut faire reconnaître les problèmes de santé mentale qui surviennent à cause du métier. »
Annonce du ministre Barrette
Un gain pour les paramédics et le public
Après des semaines marquées par les sorties nombreuses des paramédics sur le manque d’ambulance, le ministre de la Santé et des Services sociaux,
Gaétan Barrette, a annoncé le 29 novembre dernier l’ajout de quatre ambulances dans la région de Québec et la conversion d’un horaire 7/14 en quart de travail pour la région de Lotbinière.
Pour les syndicats du secteur préhospitalier affiliés à la CSN, l’annonce quant à l’ajout de ressources va dans le bon sens, mais elle ne répond pas entièrement aux priorités des 3 600 syndiqués CSN. Les syndicats revendiquent la création d’un comité paritaire permanent sur le fardeau de tâche ainsi que la conversion des horaires de faction dans les zones prioritaires.
Une nouveauté : la grève légale
La grève actuelle est une grande nouveauté pour les paramédics de Québec. En effet, c’est la première fois de son histoire que l’ATPH-CSN fait une grève légale sanctionnée par le Tribunal administratif du travail. « Avant c’était des moyens de pression illégaux qui étaient tolérés par les patrons, on ne s’était jamais rendus jusqu’en cours pour faire sanctionner nos moyens de pression, on avait toujours eu des ententes avant, comme en 2012 », raconte Frédéric Maheux.
« Le plus dur c’est que c’est nouveau, il a fallu tout mettre en place correctement, faire embarquer tout le monde, malgré les différents types de compagnies et les différentes tailles », explique-t-il. « C’est pas pareil dans une petite compagnie privée que dans une grosse coopérative, les gens sont plus proches des patrons, les mentalités sont différentes. »
Comment ça marche une grève avec services essentiels où tu donnes 100 % des services ? « Le rapport de force se joue sur l’administration, nos moyens de pression visent à augmenter les tâches des cadres », explique le président de l’ATPH-CSN. Et ça marche ? « C’est tellement nouveau que c’est dur de dire si ça marche, le monde embarque plus ou moins, c’est difficile dans une coop comme à Québec, parce que c’est un peu comme si tu te tapais dessus. »
Récemment, les paramédics ont décidé de donner un tour de vis et de durcir leurs moyens de pression. « La grève 2.0 comme on l’appelle sera plus majeure et le rapport de force sera meilleur. On va faire en sorte que la facturation devienne pratiquement impossible, ça va signifier de grosses pertes d’argent pour les employeurs », explique Frédéric Maheux. À noter que comme dans une grève classique, les paramédics des coops aussi vont y perdre puisqu’une bonne partie de leur rémunération est liée aux ristournes (donc aux « profits » de leur employeur).
« Cependant, le monde suit, parce que les gens sont tannés que les négociations soient bloquées et que les patrons grugent dans nos conditions.» Incidemment, le vote de grève 2.0 est passé partout à Québec entre 86 % et 100 %.
Les paramédics bloquent le ministère de Barrette
Les paramédics ont frappé un grand coup le 21 novembre dernier en bloquant tous les accès aux bureaux du ministère de la Santé et des Services sociaux, sur le chemin Sainte-Foy, dès 6 h. Le siège s’est poursuivi jusqu’au début de l’après-midi.
Ce blocage faisait suite à plusieurs autres actions dont une visite collective aux bureaux de la CTAQ au début du mois et une campagne d’affichage dans la région.
Vers un règlement
Le président de l’Association des travailleurs du préhospitalier (ATPH-CSN) n’est ni optimiste ni pessimiste sur l’issu de la négociation actuelle.
« Je suis réaliste, je prends ça au jour le jour », philosophe Frédéric Maheux. « On sait que ça va se régler, on ne sait juste pas quand. Le ministre Barrette a un drôle de jeu en ce moment, c’est très bizarre. »
À Québec, la négociation locale est à toute fin pratique terminée avec la coopérative qui emploie l’immense majorité des paramédics sur le terrain. « Ce qui reste c’est une lettre d’entente sur la surcharge de travail », explique le syndicaliste. Le syndicat revendique un comité paritaire permanent sur le fardeau de tâche. « On veut que l’employeur donne ses chiffres, mais lui ne veut pas, il ne veut pas voir le syndicat là. »
Du côté ministériel, le dernier enjeu est la question de la retraite. « C’est un nouveau fonds de pension, il faut qu’il soit accepté partout en province pour qu’il soit éligible, mais ça brette avec les autres syndicats, chez certains employeurs et au ministère ».
L’impossible unité
« Ça a vraiment été deux années difficiles avec la réforme Barrette. Tout est nouveau, ça a beaucoup divisé les compagnies et les paramédics sur le terrain », déplore Frédéric Maheux.
« La division se joue entre les coops, le privé et l’étatisé, il y a une rivalité FPHQ versus CSN et tu as la FTQ toute seule dans son coin. On essaie d’avoir l’unité, mais malheureusement, à cause d’idéaux différents, c’est impossible », pense le syndicaliste.
« Nous on brasse, on fait des actions pour que ça avance, les autres ne font rien, ils surfent sur la vague et ramassent ce que l’on a gagné. Ça ne marche pas comme ça, il ne faut pas écouter les petits agents sur le bord qui préfèrent regarder le train passer, pour avoir ce qu’on veut, il faut travailler, ce n’est jamais gratiss! », conclut Frédéric Maheux.
Extrait du numéro de décembre 2017 du journal Le Réflexe