Syndicalisme
Pour vivre comme du monde
À l’approche du Premier mai, la Journée internationale des travailleuses et des travailleurs, comment se porte le mouvement syndical dans la région ? « C’est à la fois la pire et la meilleure période pour faire du syndicalisme », s’exclame Barbara Poirier, présidente du Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN).
La crise sanitaire, avec son lot de décrets et de primes asymétriques, a compliqué la vie des représentantes et représentants syndicaux dans le secteur public. « Le gouvernement est venu enlever de grands pans dans les conventions collectives, diminuant nettement les conditions de travail, sans que les syndicats n’aient leur mot à dire. Au surplus, il s’est substitué à eux en attribuant arbitrairement des primes qui ont eu l’effet de diviser les travailleurs et avec peu d’effet sur la rétention », rappelle Barbara Poirier.
En parallèle, la pénurie de main-d’œuvre rend la situation difficile dans bien des milieux de travail. « Beaucoup, beaucoup de gens sont en surcharge et vivent une grande détresse au travail », rappelle la présidente du conseil central. La société est encore dans le déni des impacts de la crise sanitaire et de la pénurie de main-d’œuvre. « On fait comme si de rien n’était, comme si tout pouvait ‘’revenir comme avant’’, mais c’est impossible, on a perdu trop de joueurs », estime Barbara Poirier, « ce que nous disent nos membres c’est qu’il est urgent que l’on se préoccupe de bien-être au travail. »
Le retour de la grève
« Là où les non-syndiqués n’ont d’autres choix que de ‘’voter avec leurs pieds’’ et essayer de trouver mieux ailleurs, les syndiqués ont un levier de plus : la négociation collective », rappelle Barbara Poirier. Acculés au pied du mur, bien des collectifs de salariés ont choisi la résistance plutôt que la fuite pour améliorer leurs conditions de travail. Après des années de stagnation, le nombre de conflits de travail est en augmentation au Québec. Ainsi, plus du tiers des membres du conseil central ont exercé leur droit de grève au moins une journée dans la dernière année.
Le cas du Hilton Québec est emblématique à cet égard. Alors que le propriétaire espérait profiter de la situation pour arracher des concessions à ses salariés, les syndiqués ont résisté magistralement et sont rentrés au travail la tête haute, le 25 avril dernier, après plus de six mois de grève. En plus de ne subir aucun recul, les syndiqués ont même réussi à obtenir quelques bonifications à leurs conditions de travail ainsi que les meilleures augmentations de salaire de l’industrie.
« C’est toute une lutte que nos membres ont menée », rappelle la présidente du syndicat, Louise Jobin, « c’est parce qu’ils se sont montrés déterminés, solidaires, qu’ils ont fait confiance à leur comité de négociation, même dans les moments les plus difficiles, qu’on en arrive à ce résultat-là. Nous continuons de penser qu’il n’y aurait jamais dû y avoir de conflit de travail au Hilton Québec. Il faut espérer que l’employeur va se souvenir que ça peut lui coûter cher, nous manquer de respect. »
L’appui d’une centrale combative, comme la CSN, fut déterminant dans l’issue du conflit. « On l’a dit et répété, la bataille des gens du Hilton, c’était la bataille de tous les salarié-es du Québec », rappelle Barbara Poirier, « il fallait la gagner pour prouver à tous les employeurs que quand on attaque à quelques centaines de membres de la CSN, c’est à toute la CSN qu’on s’attaque. C’est pour ça que l’on a mis toutes nos énergies à soutenir la mobilisation du Hilton et à développer la solidarité des autres syndicats. »
Une entente historique
Toutes les négociations ne se terminent toutefois pas en conflit, loin de là, même si la mobilisation est toujours nécessaire pour obtenir des gains. Au chantier Davie par exemple, il aura suffi d’une menace de grève et une visibilité syndicale accrue sur le plancher, pour mettre la pression nécessaire à l’obtention d’une entente que la CSN a qualifiée d’historique.
« La mobilisation impeccable des membres et leur soutien indéfectible nous ont permis d’atteindre nos objectifs et d’obtenir un rattrapage salarial majeur », explique Jean Blanchette, le président du syndicat. La nouvelle convention collective prévoit des augmentations de salaire pouvant aller jusqu’à 30,5 % pour les deux premières années et d’augmentations annuelles de 2,5 % par année ou l’IPC + 0,5 % selon le meilleur des deux. « De plus, nous avons été en mesure d’éliminer des irritants qui perduraient depuis des décennies », ajoute le syndicaliste.
« Dans le cas de la Davie, les salariés partaient de loin », rappelle Barbara Poirier, « ils avaient fait des concessions dans le passé pour garder le chantier ouvert et leurs conditions de travail n’étaient tout simplement plus compétitives. » La présidente du conseil central espère d’ailleurs que la nouvelle convention collective pavera la voie à l’intégration définitive de la Davie comme troisième chantier de la Stratégie nationale en matière de construction navale. « C’est la seule façon d’assurer le maintien et la création d’emplois de qualité pour les décennies à venir », dit-elle.
Organiser la solidarité
Ce sont ces thématiques qui ont alimenté la réflexion pour la préparation du congrès du conseil central, qui aura lieu du 13 au 17 juin au Centre des congrès de Québec. « Avec la vague de conflits que nous avons vécue en 2021, le thème ‘’organiser la solidarité, lutter pour vaincre’’ s’est imposé de lui-même », explique Barbara Poirier.
Le syndicalisme a permis à des générations de travailleuses et de travailleurs d’améliorer leurs conditions de travail et leurs conditions de vie. Après des décennies passées à défendre des acquis et résister au rouleau compresseur néolibéral, la période actuelle pourrait en être une d’offensive pour le mouvement syndical et de gains pour les travailleuses et les travailleurs. Mais ça ne se fera pas sans batailles.
« La mobilisation c’est dans le champ du conseil central, c’est notre jeu de base », rappelle la présidente, « mais c’est aussi l’ingrédient actif qui fait que les travailleuses et les travailleurs font ou ne font pas de gains comme on a pu le voir au Hilton et à la Davie. » Pour l’équipe du conseil central, l’enjeu est de voir comment l’organisation peut s’améliorer pour développer la mobilisation et déployer une solidarité toujours plus forte.
« Au fond, c’est un enjeu de force et de puissance », conclut Barbara Poirier, « les travailleuses et les travailleurs sont forts et puissants quand leurs organisations sont fortes et puissantes. Nous notre job c’est de développer le cadre qui va permettre à un syndicalisme de combat renouvelé de prendre son envol dans la région. C’est comme ça que l’on va faire des gains pour nos membres et remplir notre mandat. »
Extrait du numéro de mai 2022 du journal Le Réflexe