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Vers une première convention CSN

Photo prise lors de l’assemblée générale du 19 avril dernier.
Unibeton Saint-Raphaël

Vers une première convention CSN

Arrivés à la confédération en septembre dernier, les membres du Syndicat des travailleurs de Unibeton Saint-Raphaël (CSN) s’organisent petit à petit et s’apprêtent à négocier leur première convention collective CSN. Nous avons rencontré Jacques Bellemare, le président du syndicat, pour en savoir plus.

« On aborde les négociations du bon côté toujours, » commence Jacques Bellemare, « nos patrons sont prêts à négocier, ils ont hâte même. » Le nouveau président, élu en février dernier, est confiant et trouve que le climat est bon.

Le projet de négo a été présenté aux membres et adopté le 10 avril dernier. « On a pris l’ancienne convention qu’on avait avec la FTQ et on l’a refaite tout en neuf en y allant article par article, » explique le président. Le comité de négociation a préféré procéder ainsi pour une première négociation. « On ne voulait pas partir de zéro et faire une nouvelle convention de A à Z parce qu’on avait peur de manquer le bateau, d’oublier des choses et d’être pris avec pour 5 ans, » explique Jacques Bellemare. 

Rattrapage 

Le principal enjeu concerne les salaires qui sont plus bas à Saint-Raphaël que dans d’autres installations de la compagnie. « Ils sont plus élevés à Québec et Saint-Marc-des-Carrières qu’à Saint-Raphaël et là on ne parle même pas de Montréal qui est dans une classe à part, » explique Jacques Bellemare, « on a un gros rattrapage à faire. » 

Unibeton est aux prises avec un grave problème de pénurie de main-d’œuvre. « On n’a plus de vie nous les travailleurs, » explique le président, « je suis dans mon camion à 5 h et je ne suis pas revenu à la maison avant 19 h ou 20 h parce qu’il manque de monde. » Avec les conditions actuelles, la compagnie n’arrive pas à recruter. « Les jeunes ne veulent plus ça, » croît Jacques Bellemare, « je pourrais travailler dans une shop avec un horaire normal et avoir le même salaire ». 

D’une certaine manière, la compagnie reconnaît implicitement que les salaires ne sont pas compétitifs. Avant le changement d’allégeance syndicale, elle avait même tenté d’augmenter unilatéralement de 3 $ de l’heure les salaires des mécaniciens mais cela avait provoqué de la grogne et de la contestation des autres salariés. « Ils étaient passés par-dessus le syndicat et la convention collective alors ça n’a pas passé mais le monde s’en souviennent et ils voudraient ravoir le 3 $, » explique Jacques Bellemare.

Les premières séances de négociation sont prévues les 2 et 3 mai. « On n’a pas encore commencé à négocier alors on ne sait pas si l’employeur sera en demande ni comment ça va se passer, » concède Jacques Bellemare, « mais j’ai un bon feeling, ils ont eu des gros contrats, ils ne veulent pas de grève, ils veulent que ça marche, ça devrait bien aller. »


Un syndicat qui s’organise

En plus d’adopter leur cahier de négociation le 10 avril dernier, les membres du Syndicat des travailleurs de Unibeton Saint-Raphaël (CSN) ont élu un premier représentant en prévention secteur prioritaire ainsi que les membres du comité de santé et sécurité au travail.

« Il ne se passait rien avec l’autre syndicat, à la fin on n’avait plus d’exécutif et il n’y avait plus de représentant dans l’usine, » raconte Jacques Bellemare. « On n’avait rien du tout en santé et sécurité au travail. En plus on est classé ‘’2’’, on est un groupe prioritaire, on l’a su en arrivant à la CSN, personne ne nous avait jamais parlé de ça. »

S’organiser en santé et sécurité porte déjà fruit. « On avait un cas de réclamation à la CNESST; on a monté un dossier avec la CSN et les patrons l’ont retiré, » dit Jacques Bellemare, « ils ne forcent plus là, ils ont des doutes, ils savent qu’ils ne peuvent plus faire n’importe quoi, pour nous c’est un bon signe. »


Extrait du numéro de mai 2021 du journal Le Réflexe

Programme du centenaire

Programme du centenaire

« Ce ne sera pas la CSN qui parle à la CSN » – Jean Lortie

Pour son centième anniversaire, la CSN veut rendre hommage à la classe des travailleuses et des travailleurs. « On a choisi de ne pas faire une histoire institutionnelle, » explique Jean Lortie, le secrétaire général de la CSN, « mais de rendre hommage à la classe ouvrière, à la classe des travailleuses et des travailleurs; tout le centième est dédié à ça. »

Jean Lortie, lors du congrès de juin 2019 du conseil central.

« La CSN est la seule organisation syndicale au Canada à avoir 100 ans d’histoire sans discontinuité, sans rupture ni fusion, » rappelle Jean Lortie. « Plusieurs de nos syndicats existent même depuis plus longtemps encore, dont le plus ancien de tous qui est basé à Québec : le Syndicat du transport public du Québec métropolitain qui représente les chauffeurs du RTC. » 

Le secrétaire général souligne que cette histoire syndicale est basée sur la militance, bénévole, de milliers de militantes et de militants qui ont bâti l’organisation depuis 100 ans. « Ce n’est pas comme le centenaire d’une institution financière ou d’un parti politique, » poursuit-il, « c’est assez exceptionnel ce que l’on vit. »

Un livre et un film

C’est en gardant en mémoire cette énergie militante qui propulse la CSN depuis 100 ans que le centenaire a été réfléchi. « Toutes les activités sont dédiée à l’évolution du travail, de la condition ouvrière, depuis 100 ans, » révèle Jean Lortie, « on a tendance à oublier notre passé, d’où l’on vient; c’est l’occasion de prendre conscience de l’évolution des conditions de travail et des gains faits au fil de notre histoire. »

Un film et un livre réalisés par des équipes indépendantes de la CSN sont notamment au programme. « Yvon Deschamps nous a donné les droits sur le titre de son monologue ‘’les unions cossa donne’’ pour le film », dit Jean Lortie, « c’est un documentaire construit autour d’entrevues avec des chercheurs, des professeurs et d’anciens dirigeants de la CSN. » Le film, qui est terminé, sortira dès que la centrale parviendra à une entente avec un réseau pour sa distribution. « Le livre, dont le titre n’est pas encore décidé, va être très graphique, avec beaucoup d’images et de photos choc pour documenter l’évolution du travail depuis 100 ans, » ajoute-t-il.

Une exposition décentralisée cet été
L’impression des panneaux des expositions itinérantes est commencée.  Photo  tirée de la page Facebook « Centenaire de la CSN »

Chronologiquement, l’existence de bien des conseils centraux précède la fondation de la CSN. « Le centenaire c’est aussi l’occasion de faire un hommage aux régions : ce sont les régions qui ont fait la CSN, » relate le secrétaire général. Le centenaire se déploiera donc en treize expositions régionales thématiques dès le mois de juin.

« On commence avec Québec où l’exposition sera sur le thème de l’évolution du transport public depuis un siècle, » révèle Jean Lortie. Chaque exposition régionale — on parle d’installations, avec des panneaux, des photos et des tableaux — abordera un thème différent, toujours en lien avec l’évolution des conditions de travail. « Ça va se déployer sur tout l’été 2021, il y aura une activité par région, » explique-t-il.

Le centenaire de la CSN va aussi s’installer de façon permanente dans l’espace public, notamment à Montréal où le parc adjacent au siège social de la confédération sera renommé « espace du centenaire de la CSN ». Une œuvre d’art public en hommage au « faubourg à mélasse » y sera inaugurée. Une plaque de bronze sera également installée, à Gatineau, devant l’édifice où a été fondée la centrale. Les célébrations du centenaire se poursuivront jusqu’au 1er mai 2022 où le nouveau siège social de la CSN et l’œuvre d’art adjacente seront finalement inaugurés.


Un centenaire qui dérange?

Le peu d’intérêt manifesté en dehors de nos rangs pour le centenaire de la CSN n’étonne pas outre mesure le secrétaire général de la CSN. « L’intérêt pour l’histoire sociale a beaucoup diminué, on n’est plus là, il n’y a pas d’intérêt pour l’histoire des travailleuses et des travailleurs, » explique Jean Lortie.

Des réseaux de télévisions ont même refusé de diffuser le documentaire produit pour l’occasion en invoquant un conflit d’intérêt, la CSN a financé la production, ou un manque d’objectivité. « C’est sûr que ça dérange ce qu’on a choisi de faire, » postule le secrétaire général, « le film, le livre, les expositions visent à conscientiser à la condition des travailleuses et des travailleurs d’hier et d’aujourd’hui. On a honte de ça, de l’exploitation et de la misère qu’on a vécues ici dans un passé pas si lointain. Et puis, tout n’est pas réglé, de la misère et de l’exploitation, il y en a encore. Beaucoup de gens n’ont pas voulu participer à cause de ça. » 

Pourtant, c’est toute la société qui est interpellée par l’histoire de la condition ouvrière. « Rendre hommage à la CSN, ce n’est pas rendre hommage à l’institution, c’est rendre hommage aux travailleuses et aux travailleurs, à toute la classe ouvrière, » croit Jean Lortie. « Nous ce qu’on voulait c’est qu’un travailleur de 25 ans qui regarde le film ou lit le livre comprenne qu’il n’y a rien d’acquis, qu’il a fallu et qu’il va falloir se battre. Au travers de la CSN, on rend hommage à la société québécoise qui a évolué grâce aux luttes ouvrières depuis 100 ans. »


Extrait du numéro de mai 2021 du journal Le Réflexe

Histoire | La CSN dans le siècle

Le Travailleur était l’organe du Secrétariat des syndicats catholiques à Québec au début des années 1920 (un lointain ancêtre du Réflexe)
1921-2021

La CSN dans le siècle

2021 est l’année du centenaire de la CSN. Quel est l’impact de sa fondation et de son action dans le siècle? Qu’est-ce qu’elle a de particulier, qu’est-ce qu’elle a amené au mouvement syndical? Pour en savoir plus, nous avons parlé avec l’historien Jacques Rouillard.

Par Nicolas Lefebvre Legault, conseiller à l’information


Avant la CSN

Contrairement à une croyance largement répandue, le Québec n’accuse pas de retard par rapport à ses voisins en termes d’urbanisation, d’industrialisation ou de diffusion du syndicalisme au début du siècle. 

Selon Jacques Rouillard, le syndicalisme est déjà bien implanté au Québec lors de la fondation de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC, premier nom de la CSN). 

« En 1921, il y avait 100 000 membres des syndicats internationaux au Québec, les deux tiers francophones, » explique Jacques Rouillard, « c’est lorsqu’ils commencent à sortir de Montréal et débordent en région que le clergé décide de réagir. » L’Église craint ces syndicats qu’elle accuse d’être trop conflictuels et de diffuser des idées anticléricales et socialistes comme la nationalisation des services publics et l’école gratuite et non-confessionnelle.

En réaction, le clergé commence à fonder des syndicats catholiques à partir de 1912 (dont un syndicat de mineurs à Thetford Mines en 1915). À Québec, où il existe un bon bassin de syndicats nationaux qui refusent l’affiliation aux unions internationales, l’Église mène campagne pour les convertir au syndicalisme catholique (ce qui sera fait en 1918).

Jacques Rouillard est historien et professeur à l’Université de Montréal. C’est un spécialiste de l’histoire des travailleuses et des travailleurs et du syndicalisme au Québec. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont une Histoire de la CSN publiée en 1981.

La Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) est le premier nom de la CSN. C’est en 1960, avec la déconfessionalisation de la centrale, qu’a lieu le changement de nom. Ci-contre, le 1er logo.


Photo souvenir du congrès de fondation de la CTCC.
1920-1940

Syndicalisme catholique

C’est en 1921, le 24 septembre pour être plus précis, qu’est fondée à Hull la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC). « À l’époque, la centrale représente 23 000 membres et 24 % des syndiqués québécois, » précise Jacques Rouillard. « Alors que le bastion des internationaux est à Montréal, celui de la CTCC est à Québec et en régions. »

Selon Jacques Rouillard, les structures des syndicats catholiques sont beaucoup plus souples que celles des internationaux. « Ça va leur permettre de syndiquer des gens qui ne l’étaient pas dans les services, les municipalités ou les pompiers et de contribuer ainsi à maintenir un bon taux de syndicalisation au Québec, » dit-il.

« Les syndicats catholiques sont souvent présentés comme des syndicats jaunes mais ce n’est pas le cas, » explique Jacques Rouillard; « de 1920 à 1940, les syndicats catholiques ont mené quarante grèves dont certaines très importantes comme dans la chaussure à Québec ou dans les chantiers maritimes de Sorel. » 

Syndicats jaunes, se dit de syndicats qui refusent les grèves et prônent la bonne entente avec les patrons au détriment des intérêts des travailleuses et des travailleurs.  

« Il va s’établir très tôt un écart important entre le discours et la pratique syndicale, » explique l’historien. « Au plan du discours, on prône le corporatisme et on mise sur l’esprit de justice des employeurs et la bonne entente pour améliorer le sort des travailleurs mais au plan concret, on est très loin de ça. » Dès 1918, les laïcs issus des syndicats nationaux amènent plutôt des pratiques syndicales comme la négociation collective, l’organisation par métier, les fédérations professionnelles, l’atelier fermé et le recours à la grève au besoin. « Les syndicats nationaux de Québec, qui ont déjà une longue histoire derrière eux, influent beaucoup sur les pratiques du syndicalisme catholique. »

Parmi les aspects plus négatifs, on note que l’influence du clergé amène les syndicats catholiques à adopter des positions qui semblent bien réactionnaires aujourd’hui. « Les syndicats catholiques s’objectent à l’instruction gratuite et obligatoire, c’est même leur première intervention publique en 1918, » rappelle Jacques Rouillard. « Ils sont aussi opposés au droit de vote des femmes et à la nationalisation des services publics. Dans leurs représentations auprès du gouvernement fédéral, ils ont une optique ‘’canadienne-française’’ bien étrangère aux syndicats internationaux, par exemple en revendiquant que le 24 juin soit une journée fériée. »


La direction de la CTCC dans les années 1940 et 1950. Ici, en juin 1949, dans les rues d’Asbestos, on reconnaît Jean Marchand et Gérard Picard, respectivement 3e et 4e de gauche à droite. Photo: Archives CSN
1940-1960

La lente déconfessionnalisation

À partir des années 1940, la CTCC entreprend une lente déconfessionnalisation qui culminera en 1960 avec le changement de nom. On commence par admettre les membres non catholiques et leur donner les mêmes droits qu’aux catholiques en 1943, plusieurs syndicats biffent la mention « catholique » de leur nom, on s’éloigne de la doctrine sociale de l’Église et on abandonne le corporatisme comme objectif lointain. 

« On ne peut pas dire que dans cette période la CTCC se distingue des autres organisations syndicales, au contraire, il y a un rapprochement, » note Jacques Rouillard. « Le projet social de la centrale est très comparable à celui des internationaux. » La centrale se découvre plus militante, elle s’oppose à Duplessis, créé un fonds de grève au début des années 1950.

De nouvelles lois encadrant les relations de travail permettent un développement du syndicalisme. « De 1940 à 1960, le taux de syndicalisation passe de 20 à 30 %, » relate Jacques Rouillard, « la CTCC passe de 46 000 à 100 000 membres et se développe beaucoup dans la métallurgie, les hôpitaux et les municipalités. Ces années se révèlent d’une grande prospérité marquée par une élévation jamais vue du niveau de vie des québécois, c’est une étape capitale dans l’amélioration de la condition ouvrière; le salaire moyen réel double en 20 ans. »

La centrale défend toujours un nationalisme pancanadien et le bilinguisme. « La CTCC réclame des pensions de vieillesse et l’assurance-chômage au gouvernement fédéral qui est vu comme plus progressiste, » explique Jacques Rouillard, « avec Duplessis au pouvoir à Québec, l’idée d’autonomie provinciale est très mitigée. »


Scène du premier front commun du secteur public (1972). Photo : Archives CSN
1960-1980

Poussée de fièvre

La CSN se distingue des autres centrales syndicales dans les années 1960 et 1970. « Au début des années 1960, la CSN joue un rôle très important dans la syndicalisation du secteur public et le membership augmente de façon significative, » note Jacques Rouillard; « elle a le vent dans les voiles, elle est perçue de façon positive comme très militante. »

Le nouveau code du travail, adopté en 1964, reconnaît le droit de grève dans le secteur public, une première qui place le Québec à l’avant-garde en Amérique du nord. « Il y a un fort militantisme de la centrale à partir de là avec un très haut niveau de grèves à la fin des années 1960 et au début des années 1970, » rappelle Jacques Rouillard. « C’est la CSN qui est responsable de la création du premier front commun du secteur public en 1972. » Le militantisme syndical est alors très payant et les salaires augmentent rapidement.

« La CSN se distingue par la radicalisation de son discours dans les années 1960 et 1970. On sent une influence marxiste et européenne, elle est très critique du capitalisme et prône un socialisme démocratique, » dit Jacques Rouillard. 

C’est à cette époque qu’émerge l’idée que la seule négociation collective est insuffisante pour corriger l’injustice sociale et qu’il faut ouvrir un « deuxième front ». « Le soutien apporté alors aux groupes populaires est très manifeste, c’est le résultat du type de militantisme que l’on trouve alors à la CSN. Mais même si on l’accuse de politiser les relations de travail, la centrale ne s’implique jamais en politique partisane, elle reste fidèle à sa constitution même si elle se radicalise. »

Mais cette croissance rapide et cette radicalisation ne vont pas sans turbulences. « Après l’euphorie des années 1960, la décennie suivante est particulièrement affligeante pour la CSN, » rappelle Jacques Rouillard. « Elle a perdu 70 000 membres en quelques années, le pourcentage de syndiqués qu’elle représente passe de 32 % en 1960 à 21 % en 1981. » Au fond, une partie substantielle de syndiqués n’accepte pas le virage idéologique qu’effectue la CSN au milieu des années 1960 croit l’historien.

Cela n’empêche pas la centrale de jouer un rôle très important en santé et sécurité au travail dans les années 1970. La deuxième grève de l’amiante, en 1975 à Thetford Mines, est primordiale dans la reconnaissance des maladies professionnelles. L’adoption de la Loi en santé et sécurité du travail en 1979 viendra couronner une décennie de militantisme syndical sur cette question. « La FTQ aussi s’est investie dans ces questions mais c’est surtout la CSN qui en fait un cheval de bataille, » explique Jacques Rouillard. 

C’est à cette époque que le discours de la centrale passe de la défense du Canada français au Québec français selon Jacques Rouillard. « En 1970, la centrale abandonne le bilinguisme pour revendiquer l’unilinguisme français. Elle sera parfaitement en accord avec la loi 101 quelques années plus tard, » note l’historien. « La centrale se prononce également pour l’indépendance du Québec mais elle demeure très critique et préfère une indépendance associée à un socialisme démocratique. »


1980 à nos jours

Affaiblissement

Les années 1980 sont une période d’affaiblissement du syndicalisme, selon Jacques Rouillard. « Il y a un virage qui se fait à partir des décrets de 1982-1983, » note-t-il. « Auparavant, les négociations du secteur public avaient un effet d’entraînement sur le secteur privé mais à partir des reculs imposés par décret, les syndicats sont placés sur la défensive. » 

C’est une époque de chômage élevé et de crise économique. « On assiste à une érosion des attentes des syndiqués, les attentes sont très modestes, » dit Jacques Rouillard, « il y a des revers dans le secteur public, les centrales sont en difficulté et le militantisme n’est plus ce qu’il était. » Il y a un recul du taux de syndicalisation même si le Québec demeure l’un des endroits les plus syndiqués en Amérique du nord.

« La CSN devient sensible à la santé économique des entreprises, elle souscrit à l’idée de concertation dans les années 1990, » rappelle Jacques Rouillard, « c’est l’époque de la création de Fondaction; on est loin de la critique du capitalisme. » Depuis la fin des années 1980, la majorité des effectifs de la CSN sont féminins et elle regroupe autour de 21 % des effectifs syndiqués. 


Pour approfondir le sujet

Jacques Rouillard est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire du syndicalisme dont ceux-ci que l’on trouvera en bibliothèque.

Histoire de la CSN 1921-1981. Montréal, Boréal/CSN, 1981. 335p

Le syndicalisme québécois. Deux siècles d’histoire. Montréal, Boréal, 2004., 335p

L’expérience syndicale au Québec. Ses rapports avec l’État, la nation et l’opinion publique. Montréal, VLB éditeur, 2009. 394p.


Extrait du numéro de mai 2021 du journal Le Réflexe

Histoire | La CSN face au changement

Histoire

La CSN face au changement

Comment une institution centenaire gère-t-elle le changement? Jean Lortie, lui-même issu d’un « nouveau » secteur et membre fondateur du comité des jeunes dans les années 1980, en sait quelque chose.

« Il y aura toujours une tension permanente entre l’institution et le mouvement, ça traverse toute notre histoire, » nous dit le secrétaire général de la CSN, « à chaque époque l’institution tend à se préserver, à être inamovible mais le mouvement la provoque et amène le changement. »

Jean Lortie a été élu trésorier de la Fédération du commerce à 23 ans, en 1986, et fonde peu de temps après le comité de jeunes de la CSN.  « Ça n’a pas été facile. À l’époque, des jeunes il n’y en a pas beaucoup; on est très minoritaires. Les boomers sont installés, ils ne laissent pas de place, » raconte-t-il, « il y a eu beaucoup de résistance. »

En 1992, Nouvelles CSN se demandait ce qui se passait avec les jeunes.

« En 1985, le taux de chômage des jeunes était de 35 %, c’était épouvantable, » se souvient Jean Lortie. « Sur 300 étudiant-es au bac, dans mon programme, j’étais le seul à avoir une job à temps partiel, dans un hôtel. Quand on a créé le comité des jeunes, on se disait ‘’il faut donner une voix à ces gens-là sinon, dans 15 ans, ils vont détester les institutions syndicales’’. » Le comité des jeunes était alors vu comme une soupape, une occasion de ventiler et de combattre les discriminations comme les doubles échelles salariales.

« Les années 1980 ont été des années de ruptures importantes, » raconte Jean Lortie. « Il y avait un vide politique, on a fait le ménage dans nos organisations et on a dépoussiéré; on a revu la place des jeunes, des femmes, des immigrant-es. On vit des ruptures comme ça à chaque génération. »

Selon le secrétaire général, la société traverse actuellement une telle période de crise. « On est dans une rupture de civilisation : la technologie, les valeurs sont en évolution, » croit Jean Lortie, « il faut s’adapter au nouveau rapport au travail. La force des syndicats en Amérique du nord trouve sa source dans la 3e révolution industrielle, il faut prouver qu’on n’était pas une anomalie historique liée à la conjoncture des ‘’trente glorieuses’’. Est-ce qu’on est encore pertinents pour les travailleuses et les travailleurs? La question est posée et elle est majeure. »

Selon Jean Lortie, les organisations syndicales comme la CSN sont en quelque sorte victimes de leur succès. « On est des organisations qui génèrent de la classe moyenne, on hisse le monde vers le haut, » illustre le secrétaire général, « et quand les gens ont atteint la classe moyenne, ils oublient qu’il reste encore des ‘’classes laborieuses’’ comme on disait autrefois. Quand on améliore notre sort, on a tendance à oublier la condition ouvrière. On a encore des groupes très vulnérables dans nos propres rangs mais il y en a encore plus à l’extérieur. » 

La résilience

Traverser le siècle c’est bien beau mais qu’est-ce qu’on en tire? Qu’est-ce que ça change que la CSN ait 100 ans? Quel est l’intérêt pour les militant-es?

Le mot de la fin de Jean Lortie : « la résilience, c’est ça que ça amène un siècle d’histoire. Tu peux te référer à une tradition de luttes, tu apprends que les luttes se gagnent sur la longue durée. C’est ça que ça donne une centrale syndicale de 100 ans. »


Extrait du numéro de mai 2021 du journal Le Réflexe

Pandémie et pauvreté

Pandémie et pauvreté

Pandémie et pauvreté

Québec a fait le strict minimum

Serge Petitclerc (photo: courtoisie)

Les personnes les plus pauvres ont été laissées à elles-mêmes depuis le début de la pandémie, déplore le Collectif pour un Québec sans pauvreté. « Le Québec est l’un des gouvernements qui en a fait le moins pour les personnes en situation de pauvreté, » explique Serge Petitclerc, le porte-parole du collectif. « Si tu n’avais pas d’emploi avant la crise, tu n’as rien eu. Pour les personnes assistées sociales, surtout les personnes seules, il n’y a eu aucune aide. » 

Un peu comme si, aux yeux du gouvernement, la crise n’existait pas pour les plus démunis. Or, la pandémie a affecté les personnes en situation de pauvreté. « Dire que pour elles c’est comme avant, que les gens reçoivent le même chèque et n’ont pas perdu d’argent, ce n’est pas vrai, » dit Serge Petitclerc. 

Selon le porte-parole, les personnes en situation de pauvreté ont été affectées par la crise de trois manières. « La crise a eu un impact direct au niveau des revenus. Les gens ont perdu leurs revenus d’appoint : c’est devenu presque impossible de vendre des canettes par exemple, » explique le porte-parole. 

L’impact s’est également fait ressentir au niveau des dépenses. La crise a amené de nouvelles dépenses, les masques par exemple, mais aussi toute une série de frais liés au commerce en ligne, sans parler de la quasi-disparition des spéciaux dans les marchés d’alimentation. « Les personnes en situation de pauvreté sont des clientèles captives qui sont très affectées par les augmentations de prix dans les commerces de proximité comme les épiceries, les pharmacies et les dépanneurs, » explique Serge Petitclerc.

La crise a finalement eu un impact sur l’accès aux services. « Juste un exemple : combien de gens dépendent des bibliothèques pour leur accès à Internet? Mais ce n’est pas tout, plusieurs services communautaires comme les cuisines collectives et les milieux de vie ont été fermés tout le printemps et une bonne partie de l’automne, » rappelle le porte-parole du Collectif. « Du jour au lendemain, les gens ont été renvoyés à la maison et se sont retrouvés plus isolés que jamais ». 

Inaction gouvernementale

Le Collectif pour un Québec sans pauvreté a fait des représentations auprès de Jean Boulet, ministre responsable de la solidarité sociale, pour obtenir une aide directe pour les personnes en situation de pauvreté. « Nous on proposait d’utiliser le crédit d’impôt pour la solidarité un peu comme le fédéral a fait avec la TPS, » explique Serge Petitclerc, « c’était le plus simple, ça pouvait être fait rapidement, ça couvrait large et ça aurait aidé directement le monde. » Le ministre a dit étudier sérieusement la question mais rien n’a été fait. « L’idée d’envoyer de l’argent directement aux gens, ce n’est pas dans leur culture; ils n’ont pas changé à cause de la crise, » soupire le porte-parole.

Lors des rencontres, le ministre Boulet répète sans cesse qu’il est sensible aux représentations qui lui sont faites mais rien ne change. « On s’en fout, nous on veut un ministre qui agit, » peste M. Petitclerc, « les gens se retrouvent Gros-Jean comme devant, ils n’ont pas plus d’argent et c’est de ça dont ils ont besoin… mais pour être sensible, ça ils sont sensibles au gouvernement! » 

Au-delà de la COVID

Serge Petitclerc croit que la lutte à la pauvreté fait du surplace au Québec. Si certaines catégories de population, les personnes âgées et les familles avec enfants notamment, ont vu leur situation s’améliorer, celle des personnes seules et des couples sans enfants s’est détériorée. « Si on regarde les indicateurs sur de longues périodes, quand on fait la moyenne de tout ça, ça ne bouge pas, » dit-il.

Que faire alors? « Souvent les gouvernements cherchent des trucs, des tours de passe-passe pour améliorer la situation des gens mais se refusent à faire des changements structuraux, » déplore Serge Petitclerc. « Tu ne peux pas améliorer les conditions de vie des plus pauvres sans mettre de l’argent dans leurs poches, et pas juste les familles, les personnes seules aussi ont besoin d’argent; ça ne se fera pas avec des crédits d’impôt. » Le militant suggère deux mesures phares pour augmenter les revenus des personnes en situation de pauvreté : augmenter le salaire minimum et augmenter les prestations d’aide sociale.

Mais l’argent seul ne suffira pas, les services publics font aussi partie de l’équation. « C’est un des déterminants de la pauvreté : l’accès aux services publics est un facteur d’égalité, » rappelle Serge Petitclerc, « et il y a vraiment des trous béants dans les services publics de santé et d’éducation. Là où on coupe en premier, c’est toujours dans les services particuliers qui servent surtout à égaliser les chances pour les plus pauvres. » Sans parler des grands oubliés de la révolution tranquille, les soins des dents et des yeux comme le rappelle le porte-parole.

Pour lutter contre la pauvreté, ça prend de l’argent, tout simplement. « Il y en a de l’argent, ce n’est pas ça le problème. Quand ils en ont besoin, ils en trouvent comme on le voit depuis un an, » dit M. Petitclerc. « C’est d’abord un problème de volonté politique… et les pauvres ne votent pas, ça ne passe pas juste par le vote mais ça fait partie de l’équation : les personnes en situation de pauvreté n’ont pas de poids politique dans notre société, elles ne sont pas organisées politiquement, elles ne font pas le poids, » conclut le militant.


Extrait du numéro de mai 2021 du journal Le Réflexe